17e mars 1770
Je reçois mon cher ange, aujourd'hui 17 mars, votre lettre du 27 février.
Cela est aussi difficile à concilier que la chronologie de la Vulgate et des Septante.
Quoique votre lettre vienne bien tard, je ne laisse pas d'envoyer sur le champ à mr le duc de Choiseul les attestations de la mort de femmes grosses. Je prétends qu'on me croie quand je dis la vérité. Un capucin est fait pour être cru sur sa parole qui est celle de dieu. D'ailleurs, on ne ment point quand on est aussi malade que je le suis, on a sa conscience à ménager.
Si les choses de ce monde profane me touchaient encore je vous parlerais de m. l'abbé Terray votre ancien confrère, qui sans respecter votre amitié pour moi, m'a pris dans la caisse de mr de la Borde, tout ce que j'avais, tout ce que je possèdais de bien libre, toute ma ressource. Je lui donne ma malédiction séraphique. Mais plaisanterie à part je suis très fâché et très embarrasé. Je n'ai assurément ni assez de santé, ni assez de liberté dans l'esprit pour songer au dépositaire. Mon dépositaire est le contrôleur général, mais il n'est pas marguillier. J'ai soupçonné que dans toute cette affaire il y avait eu quelque malin vouloir; et vous pouvez en général me mander si je me trompe.
Je vous ai envoyé une petite consultation pour m. Bouvard. Elle arrivera peut-être au mois d'avril comme votre lettre de février est arrivée en mars. Je voulais savoir s'il avait des exemples que le lait de chèvre eût fait quelque bien à des pauvres diables de mon âge attaqués de la maladie qui me mine. N'ayant point de réponse j'ai consulté une chèvre et si elle me trompe je la quitterai.
J'imagine qu'à présent vous avez quelques beaux jours à Paris, et que made D'Argental s'en trouve mieux. Je vous souhaite à tous deux tous les plaisirs, toutes les douceurs, tous les agréments possibles. Vous pouvez être toujours sûrs de ma bénédiction. Non seulement je suis capucin, mais je suis si bien avec les autres familles de st François, que frère Ganganelly m'a fait des compliments.
Vraiment oui j'ai lu la religieuse, et ce n'a pas été avec des yeux secs. Tout ce qui intéresse les couvents me touche jusqu'au fond de l'âme.
Recommandez vous bien aux saintes prières de
frère François capucin indigne