16 mars 1770, à Ferney
Madame,
Je vois que vous êtes une mondaine, qui négligez les grâces d'en haut et qui n'êtes occupée que des vôtres.
Après avoir si noblement secouru les capucins mes confrères, vous abandonnez frère François qui prie dieu soir et matin pour votre colonie de la ville de Choiseul sur la rivière de Versoy.
C'est une belle chose madame que d'être fondateur, mais je vous prie de considérer que mon patron st François d'Assise a été fondateur aussi, et qu'il a nourri plus de fainéants que mr l'abbé Terray n'en ruine.
Pensez vous que si mr le contrôleur général n'a pris tout ce qui était dans mon tronc, j'en sois moins cher à dieu? Tout au contraire madame, j'en serais plus résigné. Il n'y a que vous qui puissiez me donner de mauvaises pensées si j'avais l'honneur de vous faire ma cour.
En attendant que vous me damniez, j'ose vous supplier de faire votre métier, et de satisfaire votre passion favorite, c'est à dire, de faire du bien et de protéger des malheureux. Daignez proposer à monseigr votre époux d'apostiller et de renvoyer à Geneve ce placet que je mets à vos pieds. Je les préfère à ceux de frère Ganganelly avec lequel je ne suis pas mal.
Agréez toujours à bon compte madame ma très respectueuse bénédiction
frère François capucin indigne
N. on m'a dit que mon libraire Cramer, député de Geneve, s'appelle le BARON PHILIBERT, il est bon que monseigneur le sache afin qu'il n'y ait point d'équivoque. Philibert est son nom de baptême et vous savez quelle vénération j'ai pour ces noms là. Un député peut mentir mais il ne peut tromper monseigr votre époux. Au reste mon libraire est fort aimable, mais je ne voudrais pas qu'il sût mes mauvaises plaisanteries qui ne conviennent pas à la gravité de mon caractère.