1769-11-20, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louise Honorine Crozat Du Châtel, duchesse de Choiseul.

Madame Gargantua,

C'est toujours ce pauvre Guillemet.
Il avait juré de ne plus ennuyer madame sa protectrice; mais madame connait les serments des amants.

Ce petit morceau m'a paru peu digne d'être lu de la famille Gargantua, attendu qu'elle n'est pas née dans le siècle passé; mais après tout, monsieur Gargantua est de tous les siècles. Madame, j'aime la vérité comme un vieux fou.

Votre petite fille étant ma contemporaine peut lire aussi ce rogaton, quoiqu'elle ne s'intéresse guère aux ministres du temps passé. On dit qu'elle court comme un petit cheval échappé, qu'elle va de souper en souper, qu'elle mène une vie très désordonnée; aussi je ne lui écris plus. Guillemet a bien d'autres affaires.

Je prends la liberté grande de mettre en vos mains ce petit placet de douze capucins pour monseigneur votre époux; je le présente comme ils me l'ont envoyé, et je prends encore la liberté très grande de l'apostiller.

La nièce à Guillemet lui a fait de plaisants contes; elle lui a dit que le mari de madame grand maman trouvait bon qu'on s'adressât à 23 ans. Guillemet n'en fait rien et ne s'adresse à personne; il n'en a nulle envie. Tout cela lui paraît fou. Un chathuant qui est dans le creux de son arbre doit y rester, ou aller dans le creux d'un autre arbre, mais non pas chez les oiseleurs où l'on fait un tapage à rendre les gens sourds.

Permettez encore, madame, que Guillemet vous dise que le goût est perdu en France, que le siècle du raisonnement a détruit le siècle des beaux arts. J'en suis fâché.

Dieu vous conserve madame, vous et monseigneur votre mari, desquels je suis avec un profond respect et beaucoup d'enthousiasme, le très humble et très obéissant serviteur

Guillemet