1770-01-01, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louise Honorine Crozat Du Châtel, duchesse de Choiseul.

Madame,

Votre excellence saura que comme j'étais dans ma boutique le jour de la st Silvestre sans rien faire parce que c'était dimanche, il passa chez moi un pédant qui fait des vers françois; et je lui dis, monsieur le pédant, faites moi des vers françois pour les étrennes de madame Gargantua, et il me fit cela qui ne m'a pas paru trop bon:

Je souhaite à la belle Hortense
Une âme noble, un cœur humain,
Un goût sûr et plein d'indulgence,
Un esprit naturel et fin,
Qui s'exprime comme elle pense,
Un mari de grande importance,
Qui ne fasse point l'important,
Qui serve son prince et la France
Et qui se moque plaisamment
Des jaloux et de leur engeance,
Que tous deux soient d'intelligence;
Et qu'ils goûtent en concurrence
Le plaisir de faire du bien.
Ma muse alors en confidence
Me dit, ne leur souhaite rien.

Il me semble madame, que moi qui ne suis qu'un typographe j'aurais fait de meilleurs vers françois que cela si je m'étais adonné à la poésie françoise.

J'ai l'honneur de faire à monseigneur votre époux, comme à vous madame, les compliments des révérends pères capucins, de tous les maçons de Versoy, de tous les manœuvres, de tous ceux qui veulent bâtir des maisons en cette ville, où il fait froid comme en Siberie.

J'ai de plus l'honneur d'être avec un profond respect, madame, votre très humble et très obéissant serviteur

Guillemet