à Chanteloup ce 28 may 1769
Que j'étois injuste.
Monsieur Guillemet. Je remerciois l'autre jour M. du Puits de l'attention qu'il avoit eüe de m'envoyer les lettres d'Amabed (lesquelles par parenthèse m'ont fait très grand plaisir) et dans les transports de ma reconnoissance je lui disois qu'il étoit bien plus aimable que M. de Voltaire puisqu'il se souvenoit de moi et que M. de Voltaire m'oublioit. Mais aujourd'hui que Monsieur Guillemet s'en souvient aussi, je le trouve le plus aimable de tous et avec lui je n'ai rien à désirer.
Je vous remercie Monsieur Guillemet, de l'amitié que vous portés à mon époux. Un ami tel que vous l'honnore infiniment et je suis d'autant plus flatée de votre amitié que vous dites que vous êtes têtu. Ah si vous pouviez jamais l'aimer, comme vous aimés Maximilien de Rony quelle gloire pour lui, quel orgueil pour moi!
Que vous êtes heureus de pouvoir hausser les épaules aux sotises que l'on vous dit et tourner le dos à ceux qui les disent! Pour moi qui habite le lieu où il s'en dit le plus et qui suis le plastron de toutes celles qui l'y disent, je suis obligée de les écouter du matin au soir, d'y répondre et d'y sourire, et je suis bien malheureuse. C'est pour reposer mes oreilles que je viens icy, passer deux pauvres petits mois d'une année dont les dix autres mois me paroissent bien longs. Je travaille pendant ces deux mois à rétablir mon esprit et ma santé que je perds pendant les dix autres. Je me mets au régime des livres qui sortent de votre boutique et je me confirme tous les jours dans l'opinion que vous ête le premier tipographe du monde. Je me fais gloire de cette opinion et de me dire de votre tipographie, Monsieur Guillemet, la très humble et très obéissante servante.