1770-08-16, de Voltaire [François Marie Arouet] à Gabriel Cramer.

Vous me disiez, mon cher voisin, que vous prétendiez absolument que les trois premiers volumes fussent finis au 1er 7bre.
Vôtre Suisse n'en prend pas le chemin. Je n'ai eu que deux feuilles depuis vôtre retour. Vous avez peut être déjà commencé l'Enciclopédie et vous avez préféré le grand au petit; mais quand on s'est engagé il ne faut rien sacrifier.

Peut être aussi avez vous commencé quelque in 4. de cette collection que vous faittes de mes misères.

Je vous réitère mes instances les plus pressantes, de ne point charger vôtre édition de tous ces fatras dont je vous ai parlé tant de fois, de toutes ces bagatelles qui n'ont qu'un tems; de toutes ces petites pièces de société qui ne sont bonnes que pour la société dans laquelle elles ont été faittes. Croiez moi, très peu de choses sont dignes du public, surtout dans un tems où ce public est très éclairé et très surchargé.

Ne réimprimez pas, surtout, les articles que j'avais donnés à l'Encyclopédie. Ce serait un double emploi qui n'est digne ni de vous ni de moi. Vous êtes le maître de mes ouvrages, je ne puis vous empêcher d'imprimer tout ce qu'il vous plaira à vos risques, périls et fortunes; mais ne m'exposez pas aux révérendes injures de frère Patouillet ex-jésuite, qui dans un mandement de Mr De Montillet, archevêque d'Auch, m'appelle auteur mercénaire (quoi qu'assurément je ne vende point mes ouvrages), qui m'intitule Vagabond, quoique je réside depuis douze ans dans mon château sans en sortir. Si je pouvais vagabonder, ce serait pour aller voir mes amis et surtout vous.