le 29 Xbre 1762
Mon admiration, ma tendresse pour vous augmentent chaque année illustre et cher ami parceque chaque année vous êtes plus digne d'être admiré et d'être aimé.
Vous ne vous contentés pas, de faire les plus beaux vers et la plus belle prose du monde, vous saisissés toujours l'ocasion de faire les plus grands actes d'humanité. Mr Elie de Beaumont m'a reconté à ma campagne avec quelle générosité vous secourés la famille éplorée du malheureux Calas, vous les aidés de vostre crédit et de vostre argent, vous redonnés au grand Corneille une second vie, vous en donnés une nouvelle édition enrichie de vos Remarques, vous seul aviés le droit de toucher ces vases sacrés, on attend au Théâtre françois vostre nouvelle Tragédie, et vous n'oubliés pas vostre ancien ami. Mr. Thirot m'a dit vos bontés pour moy; c'est donc de cette sensibilité précieuse que découle dans vostre belle âme ces grands sentimens, ces pensées fortes, ces situations déchirantes et ce charme inexprimable qui anime tous vos drames et les moindres actions de vostre vie, c'est parceque vous estes humain, c'est parceque vous savés aimer que vous estes l'autheur le plus touchant, l'ami le plus désirable et le plus aimé.
Faut'il qu'en étant plein comme je le suis, qu'étant pénétré comme je le dois, je n'aye plus de mots pour l'exprimer! Ma très petite muse s'est retiré de moy, je ne rendrois plus à mon gré ce que je sens et dans une espèce d'admiration stupide, je m'écrie, coeli enarrant gloriam. Tant de belles oeuvres annoncent l'immortalité de mon cher Voltaire, la Henriade, tant de belles pièces de Théâtre, tant de belle prose, en tout genre, tant de jolies bagatelles, iront dans la postérité la plus reculée, car, grand homme, si on lit avec admiration l'art Poétique d'Horace, les grandes odes, les admirables epistres à Auguste, on lit avec plaisir son invitation à diner faite à son ami, ses galanteries à ses maîtresses; tout ce que touche un grand écrivain est exquis et marche avec luy à la gloire.
Je reviens de ma petite campagne chérie et au moins, si je vous étourdis pas souvent de mes lettres, dois je vous dire à mon arrivée, en ce renouvellement d'année, que je vous suis attaché plus que jamais et que jusqu'au der soufle de ma vie sera un sentiment d'admiration et de tendresse.
J'ay vu Eponine ou Sabinus, Tragédie de mr. de Chabanon, beaucoup de grands ressorts, mal graissés et mal disposés; c'est la pièce d'un Ecolier, nulle conduite des caractères, mal pris et point soutenus; que j'ay bien aimé voir un moment, chés mde Duboccage, une certaine Melle Delon, pleine d'esprit, de grâces et de Talents, qui se loüe fort de vostre bonne réception. Il me semble qu'elle étoit faite pour vous plaire, elle est d'une gaÿeté charmante.