à Lausane 8 janvier [1758]
Mon cher correspondant, la prise de Breslau, celle de tant d'officiers et de tant de trouppes, le siège de Shwednits, celuy même d'Olmuts dont on parle, achèvent d'établir dans l'Allemagne, l'équilibre que nos armées ont tâché en vain de déranger.
La France est bien servie sans le vouloir, et doit remercier le roi de Prusse de l'avoir battue. Pour peu qu'il poursuive le cours de ses victoires, il faudra que l'Autriche soit la première à demander la paix. Je ne serais point étonné que les bras des russes et des suédois ne s'engourdissent, et que le roy de Prusse fût plus puissant que jamais.
Toutte la Franconie est àprésent inondée de trouppes, il faut aller manger aujourdui ce pays là aprés avoir dévoré les autres. Il est difficile que les lettres m'arrivent de Bareith comme elles arrivaient. Je me suis borné dans mes lettres à faire en général des voeux pour la paix. Il est plaisant d'avoir des remords de lâcher ce terrible mot. Je l'ai souhaittée à tout le monde. Le prince de Saxe Hilbourgausen doit il être si fâché qu'on luy en souhaitte sa part? Il rôde autour de Bareith. C'est un homme de mauvaise humeur, et s'il ouvre les lettres, il est tout propre à prendre pour une trahison les souhaits d'un bon Suisse.
Quant à la petite Suissesse huguenote qui s'avise de faire tout en douceur des métis avec un papiste, si on peut la faire acoucher à Lyon, chez quelque honnête et charitable dévote, si on peut mettre son enfant aux orphelins, je l'adresserai à la personne que vous aurez la bonté d'indiquer en qualité de femme, de légitime épouse. Elle poura gagner quelque chose à son autre métier qui est celui de couturière. Les frais d'ailleurs ne seront pas exhorbitans quant à sa conversions, après ses couches. Ce sera l'affaire de quelque jeune chanoine car il n'y a pas moyen de proposer cette bonne oeuvre à un cardinal et à un archevêque de l'âge de son Eminence. Il ne reste à madame Denis et à moy qu'à vous remercier de touttes vos bontez avec la plus tendre reconnaissance.
V.