1749-04-03, de Gabrielle Émilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise Du Châtelet-Lomont à Marie Françoise Catherine de Beauvau-Craon, marquise de Boufflers-Remiencourt.

Eh bien il faut donc v͞s dire mon malheureux secret sans attendre votre réponse sur celui que ie v͞s demandois, ie sens que v͞s me le promettrés et v͞s me le garderés, et v͞s allés voir qu'il ne poura pas se garder encore longtems.

Ie suis grosse, et v͞s imaginés bien l'affliction où ie suis, combien ie crains p͞r ma santé, et même p͞r ma vie, combien ie trouue ridicule d'acoucher à 40 ans après en auoir été 17 sans faire d'enfant, combien ie suis afligée p͞r mon fils. Ie ne veux pas le dire encore crainte que cela n'empêchât son établissement, suposé qu'il s'en présentât quelqu'ocasion, à quoi ie ne vois nulle aparence. Personne ne s'en doutte, il y paroit très peu, ie comte cependant être dans le 4 et ie n'ai pas encore senti remuer. Ce ne sera qu'à 4 mois et demi, ie suis si peu grosse, que si j'auois quelqu'étourdissement ou quelqu'incomodité, et si ma gorge n'étoit pas fort gonflée, ie croirois que c'est vn dérangem͞t. Mais il n'i a nulle aparence à la santé dont i'ay joüi jusqu'àprésent que se soit vn dérangem͞t. V͞s sentéz combien ie comte sur votre amitié et combien i'en ai besoin p͞r me consoler et p͞r m'aider à suporter mon état. Il me seroit bien dur de paser tant de tems sans vous, et d'être priuée de v͞s pendant mes couches. Cependant coment les aller faire à Luneuille, et y doner cet embaras-là? Ie ne sais si ie dois assés comter sur les bontés du roi p͞r croire qu'il le désirât, et qu'il me laissast le petit appartem͞t de la reine que i'ocupois, car ie ne pourois acoucher dans l'aile à cause de l'odeur du fumier, du bruit, et de l'éloignem͞t où ie serois du r. et de vous. Ie crains que le roi ne soit alors à Comerci, et qu'il ne voulût pas abréger son voiage. J'acoucherai vraisemblablement à la fin d'août ou au comencem͞t de 7bre au plus tard. I'ygnore quels sont les projets du roy p͞r ses voiages. Il me seroit bien dur de paser encore 8 mois sans v͞s et peutêtre plus, car auec le tems de mes couches cela ira au moins 8 mois, et p͞r peu qu'il me restât la moindre incomodité ie ne pourois au comencem͞t de l'hiuer entreprendre vn si grand voiage en releuant de couches. Ce sera vn des tems de ma vie où votre amitié me sera la plus agréable et la plus nécessaire, et où les bontés du roy me seront de la plus grande consolation, il me seroit bien dur de m'en priuer, i'espère que v͞s ne le soufrirés pas. V͞s voiés cependant combien de considérations doiuent m'arêter, ie ne veux point abuser des bontés du roy pour moi, ni de votre amitié. Mr du Chatelet veut que i'acouche à Luneuille ou du moins le désire fort, ie le désire plus que lui, mais c'est à v͞s de voir si cela est possible et conuenable, c'est à v͞s de me dire si v͞s le désirés, si le roy le désire, et ce que v͞s me conseillés. Si ie dois acoucher à Luneuille i'y retournerai à la fin de mai, ou au commencem͞t de jüin, parceque ie risquerai moins alors. Ie ne crains point le voiage, i'yrai doucem͞t, ie ne me suis jamais blessée, et ie suis très forte. Rien ne me seroit plus mal sain que de me passer de v͞s, décidés donc mon sort et si v͞s voulés qu'il soit heureux, faites que ie sois auec v͞s. J'attendrai votre réponse auec impatience. V͞s dirés au r. tout ce que v͞s voudrés, ie mets mon sort entre vos mains. Ie comte que ie trouuerai en Loraine vn bon acoucheur et vne bone gard; il seroit bien cher d'acoucher à Paris, et bien triste d'y acoucher sans v͞s.