1749-04-17, de Gabrielle Émilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise Du Châtelet-Lomont à Jean François de Saint-Lambert, marquis de Saint-Lambert.

V͞s ne m'aués point escrit cette poste aparem͞t parceque la dernière poste ne v͞s a pas aporté de lettres de moi, v͞s verés si c'est ma fautte, i'en reçois vne du 12 de m͞e de B. où elle me demande vn modèle de lettre p͞r mlle la Rochesurion.
Si v͞s m'auiés aussi escrit le 12 votre lettre seroit ariuée come la siene. Ie sens tout le ridicule de sa demande, mais ie crains tant que sa lettre n'ariue trop tard que ie lui enuoie ce modèle, i'espère d'ailleurs y mettre toute la chaleur auec laquelle ie désire cette affaire, mais ie ne l'espère guères ie ne v͞s le cache pas, et puisque m͞e de B. me mande que v͞s ne voiés pas d'autre moien d'éuiter les grenadiers, ie vois clairem͞t moi, que le bonheur de ma vie est passé, et qu'il faut y renoncer p͞r toujours. Ie ne sais ce que deuiendra cette affaire et si v͞s entrerés dans les grenadiers, mais ie suis bien sûre de 2 choses, la première, que si v͞s y entrés c'est la perte entière de votre fortune et la malheur de votre vie, et la seconde soit que v͞s y entriés ou que v͞s n'y entriés pas cela m'a fait conoitre votre coeur, et voir à quoi v͞s me sacrifiés et dans quel tems, et dans quelles circonstances. Ie serai cependant asés faible p͞r v͞s le pardoner si le hazard fait que v͞s n'i entriés pas, mais croiés que ie ne pourai iamais l'oublier. De quel droit osés v͞s v͞s fâcher que ie fasse venir mes robes d'été, et éxiger que i'acouche en Loraine, v͞s qui n'êtes pas sûr de ne pas quitter la Loraine p͞r toujours dans vn mois, et qui seriés déjà à votre garnison en Flandres sans le refus du p. de Beauuau? Quoi, v͞s êtes asés personel p͞r trouuer mauuais que ie ne m'engage pas irréuocablement à faire mes couches à Luneuille, et cela p͞r que i'y sois en cas que v͞s y restiés, et que ie coure le risque d'y acoucher sans v͞s! Peu v͞s importe où ie fasse mes couches si v͞s n'êtes pas à Luneuille. V͞s voulés bien auoir la liberté de v͞s séparer de moi p͞r toujours si c'est votre auantage mais v͞s ne voulés pas que ie reste ici 15 jours de plus si ma santé ou mes affaires l'exigent. Oh v͞s en voulés trop! Aussi ie ne m'arange point p͞r partir ni le 20, ni le 25 de mai ni jamais, que v͞s ne soiés décidé sur ces grenadiers, et votre indécision, (que dis je votre indécision, ce n'est pas v͞s qui êtes indécis puisque v͞s les demandés à cor et à cris) deuroit me décider si j'auois vn peu de courage.

Ie dois asurém͞t être fort reconoissante des sacrifices que v͞s me faites p͞r me rasurer sur mes soupçons, ie n'ai seulem͞t pas pu obtenir de v͞s que v͞s allasiés 12 heures à Nancy p͞r m'enuoier votre portrait. Tout ce que m͞e de B. m'a escrit sur votre sujet et sur votre fortune en dernier lieu, la manière dont elle sent et partage mes peines sur cela, ont bien resseré les liens qui m'attachent à elle, et si v͞s me quittés p͞r elle, ie pourai bien en mourir mais ie ne la haïrai jamais. Ie ne lui cache point combien ie suis indignée de la facilité avec laquelle v͞s aués embrassé cette prétenduë resource des grenadiers et de l'indiférence auec laquelle v͞s v͞s êtes résolu à v͞s séparer de moi p͞r toute votre vie. Ie lui ouvre mon coeur, cela m'est imposible autrem͞t, v͞s en abuserés tous deux si v͞s voulés. Ie crois que v͞s n'aurés point la place de Pimont, et qu'il n'y a persone sur la terre qui ait ce crédit là sur l'esprit du r. Il y a des choses qu'on n'obtient point des gens, et ie crois celle là du nombre, mais il faut cependant tout tenter p͞r l'obtenir et c'est asurém͞t ce que ie ferai. Ce que ie v͞s répons c'est d'obtenir vne gratification de 50 £ au moins. Ie sais jusqu'où va mon crédit, il n'a jamais été plus grand, et le r. ne m'a jamais marqué tant d'amitié, il veut absolum͞t que je fasse mes couches à Luneuille, il dérangera tous ses projets p͞r y être, il me laisse l'apartem͞t, ie suis bien honteuse de penser que cela dépend de toute autre chose. Il fait non seulem͞t acomoder ma petite maison mais il la meuble, ie suis logée de tout auprès de lui, et ie n'en sors point. Ie me force à dîner p͞r diner auec lui tête à tête, car ici aucun home ne mange auec lui, et asurém͞t ie suis bien sûre que personne ne m'aime autant que lui. V͞s escriués au che͞r de Listenai come si i'étois capable d'exiger de v͞s que v͞s fussiés ingrant aux marques d'amitié du p. et de sa soeur, mais les choses n'ont elles pas leurs bornes, et quand v͞s auriés été reconduire le frère à Nanci auriés v͞s manqué à la soeur, puisque v͞s étiés décidé à me quitter l'anée passée p͞r le reconduire. Non ie ne v͞s conseillerai jamais l'ingratitude, ie suis trop intéressée à v͞s trouuer vn coeur reconoissant.

I'ay escrit à mlle la Rochesurion p͞r lui aprendre [l'arrivée] du roy, depuis que je sais qu'elle doit demander [la place] de Pimont ie ne sors de chés moi que p͞r lui ren[dre mes] deuoirs, et v͞s saués si personellem͞t j'ay lieu de l'a[imer]. M. de Croix est très piqué contre moi de ce qu'il a apris par le public la place de mon fils, ma grosese, et de ce que i'ay gardé 3 jours ma chambre à Versailles p͞r ma saignée sans le lui mander, et en vérité je me repens d'auoir eu cette basesse, mais v͞s m'auouerés du moins que ma conduitte ne resemble pas à la vôtre. Cette grosese est publique, on en a tant parlé que i'espère qu'on n'en parlera plus, ie sens que ie v͞s aime malgré les torts véritablem͞t irréparables que v͞s aués auec moi et i'ay encore la faiblesse de v͞s le dire mais si v͞s allés à ces grenadiers il faudra donc vous quitter. Ie n'ai pas encore vu le prince. Ie ne voulais pas prononcer iamais ce mot.