à Versailles dimanche 12 [13 April 1749]
Vous le saués àprésent ce qu'il faut faire pour remettre le calme dans le coeur que v͞s aués déchiré, et que la crainte de v͞s perdre tourmente plus que jamais.
V͞s croiés que rien ne peut altérer ma santé, et ie ne puis me dissimuler que tant de sécurité marque peu d'intérêt. Cependant il est très vrai que depuis huit jours i'ay été si incomodée que i'ay été forcé de me faire saigner sans quoi i'aurois eü le même accident qu'à Comerci. Ie suis donc venuë me faire saigner ici, afin de pouuoir aller voir le r. de P. à Trianon où ie crois même que ie m'établirai pendant son séjour ici. Depuis ma saignée ie suis plus malade, mais i'ay du moins fait ce que i'ay dû p͞r ôter le danger, qui dans l'état où ie suis m'afligeoit plus que dans tout autre. I'ay vn mal de coeur et vn mal de tête qui ne me quittent point depuis ma saignée. Cela joint à l'inquiétude mortelle que me donent ces grenadiers ne me laisse aucun moien de trauailler, ie prens même beaucoup sur moi p͞r escrire ce soir. I'escris cependant aussi vne grande lettre à m͞e de B. à qui ie ne v͞s cache pas que ie me plains amèrem͞t de la facilité auec laquelle v͞s aués saisi ce prétendu débouché des grenadiers. Si v͞s cédés sur cela à la raison, à l'éuidence, et à votre intérêt, car ie n'exige pas que l'amour mette un grain dans la balance, ie ne serai pas malheureuse puis que ie viurai auec v͞s, mais la plaie de mon coeur sur cela saignera longtems. Ie vois à quoi tient le repos et le bonheur de ma vie, mais ie le vois trop tard, ie v͞s aime et ie puis tout v͞s pardoner or de v͞s séparer de moi, et de me faire viure sans v͞s. Ie me suis informée plus éxactem͞t de ces grenadiers depuis que ie suis ici, v͞s croirés que ie v͞s grosis les objets, v͞s deuriés cependant être acoutumé à ma vérité et à mon désintéressem͞t, mais ie v͞s jure qu'on m'a dit que presqu'aucun des oficiers qui ont droit d'y entrer ne le veulent, qu'on a eu de la peine même à en trouuer, que ceux qui y sont viuent ensemble come chien et chat, qu'il y a des affaires tous les jours, et qu'ils sont d'autant plus à plaindre qu'ils sont obligés d'y viure toute l'anée, qu'ils n'auront pas de semestre, mais seulem͞t des congés de grâce p͞r affaires et qui seront toujours donés à la fauevr. Ils sont gouuernés par m. de St Perne et par le major dont i'ay oublié le nom, les lieutenants colonels n'i ont que faire, aussi n'ont ils que 6 mois de résidence, mais ce sont les seuls. Ce seroit v͞s casser le cou, et v͞s ne v͞s conduisés que par votre humeur, et non par votre intérêt si v͞s quittés le corps où v͞s êtes p͞r celui là. Ie ne veux entrer pour rien dans votre décision, v͞s sentés combien il seroit peu flateur p͞r moi de ne deuoir qu'au désespoir que cela me causeroit le sacrifice que v͞s m'en feriés, ie serois inconsolable, ie ne v͞s le cache pas, et prendre ce parti, ou me quitter, c'est la même chose, mais puisque v͞s ne l'aués pas senti, puisque v͞s v͞s y étiés résolu, puisque c'est le prince qui persiste, malgré vos instances, à ne v͞s pas nomer, ie veux que v͞s ne v͞s déterminiés que par votre intérêt. Ie crois l'auoir prouué à me B., au che͞r de Listenai, et à v͞s même que votre intérêt est de rester où v͞s êtes. Ce que ie v͞s demande p͞r moi, la seulle chose où ie veüille auoir part, et à laquelle ie me crois en droit d'en auoir, c'est la promtitude de votre décision. M͞e de B. me mande que le roy s'arangera sans doutte auec moi p͞r le voiage de Comerci, mais ie v͞s déclare moi que ie ne veux point m'engager auec le roy que v͞s ne soiés décidé si v͞s irés aux grenadiers ou non. Vous m'auouërés qu'il y a de la barbarie à vouloir que ie m'engage toujours à venir faire mes couches en Loraine, en courant le risque de les y faire sans v͞s. Ie ne veux là dedans ni incertitude ni équiuoque, si v͞s refusés les grenadiers i'iray faire mes couches en Loraine, mais si v͞s faites dépendre le refus de la place de Pimont, il est bien sûr que ie n'irai pas, car ie ne puis croire que v͞s l'aiés, surtout le roi s'étant lâché come v͞s me le marqués à auouer au p. son auersion p͞r vous. Mais cette auersion n'augmentera t'elle pas en sachant que v͞s pasés le tems de son absence à Luneuille quand votre deuoir est d'être à Nanci? C'est sans doute vne réflexion que v͞s n'aués pas fait. Ie crois que v͞s êtes conuaincu àprésent que mon retour à Luneuille ne dépend ni de l'apartement, car on me le laisse, ni d'aucune autre circonstance, que de v͞s vniquem͞t, il faut bien finir par me croire quelque répugnance que v͞s y aiés, car ie prouue par les faits.
M͞e B. me mande du 9 que v͞s aués affaire à Nanci, v͞s v͞s me mandés que v͞s restés à Luneuille, i'aurois voulu du moins que v͞s eussiés reconduit le p. à Nanci. Quand i'étois à Luneuille v͞s deuiés me quitter p͞r le reconduire, souvenés v͞s en, mais v͞s ne le croiés pas si nécessaire àprésent. Ie ne v͞s dis tout cela que p͞r v͞s faire voir que si mon coeur étoit aussi soupçoneux que le vôtre, votre conduite ne me rasureroit pas, et qu'assurém͞t, on ne peut guères moins ménager ma délicatesse que v͞s le faites. Ie ne serois pas étonée que v͞s ne fussiés pas resté à Nanci, mais ie dois l'être que v͞s n'i aiés pas même été. I'aurois voulu que v͞s y eussiés été et que mes lettres v͞s eussent fait retourner à Luneuille et v͞s en receurés où ie v͞s en presse, parceque moi, qui crois toujours tout ce que v͞s me dites, i'ay cru effectiuem͞t que v͞s seriés à Nanci, où même ie v͞s ai escrit, v͞s auriés dû aller quand ce n'auroit été que p͞r m'enuoier votre portrait dont assurém͞t je ne v͞s parlerai plus. Ie crois que v͞s faites monter votre garde au tems qu'il y a que v͞s n'i avés été; j'espère que ce n'est pas auec promesse de la remplacer quand ie serai arriuée, mais peutêtre alors m. de Chatelard ennuié de votre perpétuel séjour à Luneuille ne voudra t'il plus v͞s permettre d'y être, c'est encore vne réflexion que v͞s ne faites pas, car il me semble que v͞s n'en faites aucune de celles qui peuuent s'oposer à vos goûts. Ie v͞s le répète, il m'est trop amer de v͞s soupçoner et d'auoir à me plaindre des 2 persones que i'aime le mieux. Mon coeur étoit tranquille sur cet article, mais i'aurois voulu que c'eût été moi qui eusse exigé votre retour à Luneuille, que v͞s eussiés reconduit le p. à Nanci, et que v͞s y eussiés cherché votre portrait.
Si vous entendés par vos dettes tout ce que v͞s deués, il me paroit bien rigoureux de faire dépendre votre refus des grenadiers de cette condition, votre état n'est empiré que des mille escus de votre major, ce sont ces mille escus là qu'il faut paier p͞r v͞s remettre dans l'état où v͞s étiés. Ie suis au désespoir d'abandoner le projet du régim͞t, celui du Tianges v͞s auroit bien conuenu. Ie crois que mr de Remiancourt aura une compagnie des gardes, si cela est, en faisant paier vos mille escus d'état major par des gratifications come ie v͞s en répons moi, pourquoi ne l'auriés v͞s pas? Tirés ce parti de votre séjour à Luneuille et ie v͞s jure que ie v͞s en remercierai loin de v͞s le reprocher. C'est cela qui seroit vne fortune, votre compagnie paieroit le régim͞t et audelà car Tianges a dit à de Croix qu'il se restraignoit à demander au r. de P. qu'il lui en fit rendre l'argent qu'il lui a coûté et c'est 2 cent loüis. C'est cela qui seroit vne grande et bone affaire p͞r v͞s, le r. persécuté par mlle de la Rochesurion p͞r la place de Pimont sera ravi de trouuer ce débouché. Ie sais que mlle Laroches demande le régim͞t pour le Lambertie mais le Lamberti ofre 10 mille francs, qu'on lui done celui de Polignac et celui de Tianges à v͞s. Parlés en à me B. à qui Lambertie ne tient pas du tout à coeur, faite lui
Enuoiés moi donc les papiers p͞r m͞e Destherasi.