[c. 13 June 1748]
On ne se met jamais à la place des autres, et assurément vous moins que personne.
Coment est il possible que v͞s ne vouliés pas comprendre le désagrément afreux qu'il y a p͞r moi à échouer dans l'affaire du comandement, la honte dont cela me couure dans le public, et les justes reproches que cela m'attire de la part de m. du Chastellet et de sa famille? Ne sentés v͞s pas qu'il ne peut y auoir aucune manière honorable de reuenir en Loraine après un tel affront, et que mr du Chatellet ne doit jamais rencontrer m. de Berchini? Ie comte si peu sur votre coeur, votre caractère est si diférent du mien, que v͞s seriés incapable de m'aimer longtems même dans le sein du bonheur, jugés si v͞s m'aimerés malheureuse et d'une espèce de malheur qui n͞s sépare nécessairement. C'est bien à vous à me reprocher ma véracité et à m'en faire rougir! Ce seroit à v͞s à l'imiter si v͞s étiés digne que ie v͞s aime. Ie ne puis être insensible à l'afront que i'attire à mr du Chastellet, ie ferai tout p͞r le lui Euiter. Il ne tiendroit pas à v͞s que ie ne prisse md de Bouflers en auersion par tout ce que v͞s m'en dites, mais ses lettres démentent toujours les vôtres, ie suis bien plus contente de son amitié que de votre amour, et c'est à quoi ie ne m'attendois pas. Pourquoi si v͞s estes si ocupé de moi faites v͞s des vers si légers et si peu tendres, vous surtout qui dites que v͞s n'en faites jamais que d'après les sentimens de votre coeur? Auoués que v͞s aués voulu les faire p͞r m͞e de B. et non p͞r moi; il est plaisant que v͞s n'en aiés pas encore fait p͞r moi et que ie v͞s demande inutilement quelques couplets sur la mesure de ceux imités de Metastase. Ie dois assurém͞t me trouuer à plaindre d'auoir tant de peine à v͞s décider à cette bagatelle, que v͞s me disiés que la paix v͞s auroit mis au désespoir sans moi, que c'est v͞s moi que p͞r n'allés pas en Toscane, et que ce ne soit pas p͞r exprimer ces sentimens que v͞s faites des vers sur la paix. Ie crois que v͞s aués plus de coqueterie que les persones à qui v͞s en reprochés et que v͞s seriés plus fâché de les perdre tout à fait qu'elles ne le pouroient être de v͞s sauoir attaché ailleurs. Voilà pourquoi v͞s craignés tant qu'on ne deuine mon goût p͞r v͞s à trauers ma viuacité pour le comandem͞t. V͞s deuiés rester à Luneuille pendant la Mallegrange et v͞s allez à Nanci, ce qui m'en plait c'est que vous trouuerés le vicomte. La Henriade a été adressée à Nancy, v͞s ne ferés pas mal d'escrite à m. de V. p͞r le remercier, car i'en suis sûre, et lui marquer combien v͞s êtes fâché de ne l'auoir pas reçuë, de quelque façon que v͞s pensiés p͞r moi v͞s serez toujours bien aise de conserver son amitié. J'ofre à m. de Boufflers d'aller tout à l'heure à Comerci si cela peut faire du bien à mon affaire, il y aura peu de monde jusqu'à la fin de juillet. Ie ne ferai point changer la patente de m. Duchastellet sans vne lettre du roy de Pologne, et m. du Chastellet ne peut montrer cette patente, c'est vn labirinthe dont ie ne sortirai pas, i'ay p͞r moi la maitresse, la posesion, la raison et ie serai sacrifiée. Ie crois que m͞e Pompadour ne soufriroit pas qu'on donnât vn tel dégoût à m͞e Destrade.