[April 1748]
Je m'éueille et ce n'est pas p͞r v͞s voir, c'est p͞r aller à Chanteu.
Qu'aisje à faire de Chanteu, puisque ie suis bien résolue à ne vouloir point auoir d'obligation à vne femme auec la quelle ie sens que ie ne pourois pas viure. Le bonheur de viure avec v͞s est le seul que mon coeur puisse conaitre, mais v͞s ne voudriés pas que ie l'achetasse à ce prix. Tâchons de n͞s faire vn bonheur indépendant, ie v͞s jure que ie n'aimerai jamais que v͞s, sans v͞s je serois bien sûre de n'aimer jamais rien. Ie puis viure ici de quelque façon que m. V. me traite. Quand ie ne lui deuroi point le comandem͞t, ie vais mettre tous mes soins à empêcher seulem͞t que Berchini l'ait, et i'espère y paruenir. Alors ie v͞s jure de passer ici la moitié de l'année, et de n'i jamais prendre aucun établissement; ie ne veux auoir d'autres chaines que celles qui m'attachent à vous. Il y a bien peu de gens qui soient dignes qu'on leur ait obligation, i'ay aimé m. de B. assés pour ne la pas craindre, mais ie ne pense plus de même, ie sens que peu à peu ses humeurs ont lassé mon amitié, et ie suis aussi détachée d'elle, que ie v͞s suis liée invinciblem͞t. Ie vous aurai vne obligation extrême de ne lui montrer la façon dont ie pense, ie n'aurai point d'aigreur auec elle, mais ie sens que ie n'aurai plus les mêmes manières. Mon extérieur est toujours l'image de mon coeur quoique v͞s en puissiés dire, et ie ne crains pas que v͞s me le niés longtems. Voulés v͞s de la limonade? Ie reuiendrai le plustost qu'il me sera possible, il me reste bien peu de tems à v͞s voir, et on m'en dérobe trop, ie ne suis heureuse qu'auec v͞s.