1748-05-01, de Gabrielle Émilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise Du Châtelet-Lomont à Jean François de Saint-Lambert, marquis de Saint-Lambert.

5e, ie les numéroterai dorénavant, faites de même des vôtres crainte qu'il ne s'en perde

Pourquoi faut il que ie doiue la lettre la plus tendre que i'aye encore reçu de v͞s au chagrin de n'en auoir eu de moi?
Il faut donc ne v͞s point escrire p͞r se faire aimer, mais si cela est ainsi v͞s ne m'aimerés bientôt plus, car il faut que ie v͞s dise tout le plaisir que m'a fait votre lettre, après celui de v͞s voir ie n'en puis auoir de plus vif, cependant cette lettre qui me rend si heureuse m'annonce que ie ne v͞s verai point, mais ie suis assés juste p͞r ne v͞s en sauoir pas mauuais gré. V͞s me conoissés bien peu si v͞s croiés que p͞r auoir le plaisir de v͞s voir ie voudrois v͞s empêcher de voiager auec le prince, croiés v͞s que i'aye oublié que d'auoir fait la routte à cheual en reuenant a pensé v͞s rendre votre mal au foie, croiés que ie n'oublie rien de ce qui v͞s touche, que votre santé, votre bonheur, votre fortune sont mes premiers soins. V͞s sentés qu'auec cette crainte de l'effet que v͞s fait l'exercice violent du cheual ie n'accepterai pas l'idée de venir ici en poste, il n'i auroit aucun des inconvéniens que v͞s pouués craindre de ce côté cy, tout y est dans une sécurité parfaitte, mais cela v͞s feroit mal, v͞s dérangeroit de toutes façons, et pouroit n'être pas ignoré à Luneuille. Ie renonce donc à cette espérance quoique i'en aie vne impatience dont assurém͞t v͞s seriés content si v͞s en étiés témoin. Ie ne ferai certainem͞t rien à Paris qui me fût aussi agréable ie ne dis pas que de v͞s voir ici, mais même de v͞s y attendre. Cependant cela m'est impossible, i'ay eü toutes les peines du monde à retenir mr de V. ici jusqu'au 9 qui sera de demain en huit, ie deuois partir le mercredi come ie v͞s l'ai marqué, mais j'ay obtenu de remettre au jeudi afin de receuoir encore vne lettre de v͞s le mercredi qui est le jour que la poste arriue ici. Ces maudits papiers que ie v͞s auois mandé que i'auois pris p͞r mon prétexte sont arriués aujourdhui, mais tous ces prétextes là n'auroient jamais pu me mesner jusqu'au 20. D'ailleurs, quand ie le pourois, v͞s partés auec le prince, et il n'est point sûr du tout qu'il voulût paser par ici en s'en allant, cela lui feroit perdre 2 ou 3 jours, qu'il aimera mieux paser de plus auec sa soeur. S'il auoit à me venir voir ce seroit plutost en allant en Loraine mais cela ne m'auanceroit de rien. Soiés sûr que puisque ie ne v͞s attens pas cela m'est imposible car quoique ie voie très clairem͞t que quand ie v͞s attendrois v͞s ne pouriés y venir, ie v͞s donerois cette satisfaction, et i'aurois le plaisir de v͞s donner cette marque de mon amour, si cela étoit posible. M. de V. a reçu des lettres qui le pressent de partir. Après auoir dit que ie ne voulois partir que ieudi ie n'ose changer sitost d'auis, car lui, il voudroit partir demain. Toutes mes affaires sont en l'air et dépendent de l'exécution d'une transaction qu'il faut que i'aille presser, et en vérité i'ay déjà trop tardé. Après v͞s auoir dit toutes mes raisons, il faut que ie v͞s parle de mes regrets. Ie v͞s asure que ie suis au désespoir, ie ne me console point de n'auoir pas attendu la st Stanislasà Luneuille, si v͞s m'auiés done cette idée le jour de m. Lagalaisiere i'y serois encore, cette idée fait le malheur de ma vie. Ie ne v͞s ai pas encore dit que ie v͞s ai escrit toutes les postes. Celle où v͞s n'en aués point reçu, v͞s deuiés certainemt en auoir vne, ie v͞s en ai adressé chés Pan Pan, ie ne le soupçone pas d'infidélité. Tâchés ie v͞s prie de les retrouuer, v͞s ne serés pas content des deux dernières, mais elles v͞s prouueront du moins que i'étois bien loin de l'indiférence dont v͞s me soupçoniés, voiés quel pouuoir v͞s aués sur moi et combien il v͞s est aisé d'apaiser la rage qui s'éleuoit dans mon âme. Votre lettre y a remis le calme et la douceur, ie me reproche de v͞s auoir soupçoné, ie v͞s en demande pardon, ie m'abandone à tout mon goût p͞r v͞s, mais ie v͞s demande en grâce soiés beaucoup à Nancy. Ie crains les coquetteries, et les insinuations du baron, rien ne v͞s parle de moi, et mon coeur tout sensible qu'il est est bien peu de chose au prix de tant de charmes, voiés combien v͞s êtes obligé de m'aimer p͞r me rassurer contre des craintes si justes. Mon âme est sensible et Emportée, ie crains tout de la vôtre ie l'auouë. V͞s aués été amoureux de la plus aimable femme du monde et cependant v͞s n'aués jamais aimé. Ie mérite biens moins qu'elle d'être aimée, et cependant ie ne puis être heureuse si v͞s ne m'aimés dauantage. Il est bien sûr que ie ne le puis être que par v͞s, i'ay assés combattu le goût qui m'entraisne vers vous p͞r auoir senti tout son pouuoir. Mais que voulés v͞s dire que ie suis accoutumée à prendre des engouemens pr des passions? Ie v͞s jure que depuis 15 ans ie ne me suis connuë qu'un goût, que jamais mon coeur n'a eu rien à se refuser ni à combattre, et que v͞s étes le seul qui m'aiés fait sentir qu'il étoit encore capable d'aimer. Si v͞s m'aimés come ie le veux être, come ie mérite de l'être, come il faut aimer enfin p͞r être heureux, ie n'aurai que des grâces à rendre à l'amour. Cette lettres est bien longue et bien ridiculement pleine de détails, ie ne la trouue pas aussi tendre que mon coeur, croiés que ie v͞s aime encore plus que ie ne v͞s le dis.