1748-09-01, de Gabrielle Émilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise Du Châtelet-Lomont à Jean François de Saint-Lambert, marquis de Saint-Lambert.

v͞s voiés bien qu'il faut ne pas laiser partir
de poste sans m'escrire, ie suis désolée
de ce courier, et cependant ie v͞s en
remercie, car ie v͞s adore, cela est sûr

Non ie ne v͞s aprendrai pas à moins aimer, moi à qui vous deués de connoitre ce qu'on apelle aimer. Votre amour, les marques que i'en reçois, la manière dont v͞s l'exprimés, tout ce que v͞s m'escriués fait mon bonheur et enflamme mon amour. I'en auois bien besoin de bonheur, ie suis plongée dans la tristesse, ie tremble de rester ici. M͞e de B. a ses règles du jour de notre départ, on la presse de rester, elle est faible, moi ie n'ose la presser, ie crains d'être indiscrette. Elle a ici ce que ie vais chercher à Luneuille, non elle ne l'a point, il n'i a point de coeur come le vôtre, ni d'amour qui ressemble à celui qui n͞s unit. I'espère beaucoup en votre lettre, son amitié pour vous peut beaucoup. S'il me faut rester ici j'y mourerai, v͞s aués coqueté auec m͞e de Thianges, v͞s l'aués trouuée aimable, v͞s aués cherché à m'oublier, du moins p͞r le tems de mon absence, moi ie n'ai pas même cherché de dissipation, votre idée et ma chambre, voilà tout ce qui m'a ocupée. Ie ne puis v͞s sauoir gré de vos coquetteries, il est vrai que votre lettre est tendre, mais ce n'est pas votre coeur, votre amour m'enchante, mais ie sens qu'il n'est point encore ce qu'il peut être, comtés que ie v͞s reproche bien plus les efforts que v͞s faites p͞r m'aimer moins, que les viuacités dont v͞s me demandés pardon, toutes injustes qu'elles étoient elles me prouuoient votre amour et m'assuroient de votre repentir. V͞s croiés que ie cherche de la dissipation, ni mon coeur ni mon esprit n'en ont besoin, v͞s et de la solitude, voilà tout ce que ie désire, et que ie ne réünirai peutêtre jamais, et ce que v͞s ne souhaiterés peutêtre pas toujours. Le roy m'escrit de Comerci vne lettre charmante, il ne doit escrire qu'à moi, ainsi v͞s jugés bien qu'il m'escrira souuent. M͞e de B. ignore ce que v͞s a dit m. du Chastellet et sûrement ie ne le lui aprendrai pas, ie ne crains presque plus Sauerne et ie suis bien loin de le regretter, mais n͞s resterons ici, ie vois auec douleur quoiqu'on ne m'en ait encore rien dit. Ne me dites donc point des choses si cruelles, v͞s osés bien m'escrire que v͞s ne voulés pas que ie vienne m'ennuier à Luneuille, v͞s ne le dites pas de bonne foi, v͞s saués bien qu'un coeur come le mien ne peut trouuer de bonheur qu'où vous êtes. I'ay trouué le trésor p͞r lequel l'éuangile dit qu'il faut tout abandonner; mais si v͞s aués la tendresse et la viuacité de mes sentimens, v͞s n'aués point leur immutabilité, votre amour a des accès, et le plus grand crime de tous, celui de v͞s reprocher d'aimer, v͞s comettés à tout moment. Si i'auois autant d'amour propre que v͞s m'en soupçonés, croiés v͞s qu'il fût bien content, croiés v͞s que mon amour le soit de vos emportemens momentanés que v͞s v͞s reprochés? Vous v͞s regardés come vn petit prodige d'auoir soupiré auprès de m͞e de Thiange et que ce ne fût pas p͞r elle. Auriés v͞s dû seulement sauoir si elle y étoit, et si elle est jolie? Mon coeur a encore bien des choses à aprendre au vôtre, v͞s deuiés v͞s ocuper de moi tout le jour, et ie parie bien que v͞s n'i aués pas pensé tout le vendredi pendant votre concert et votre souper. Qu'aués v͞s fait jeudi? v͞s ne m'aués point escrit, v͞s ne v͞s êtes point ocupé de moi.

Cette poste de Plombieres à qui n͞s auons dit tant d'injures arriue et m'aporte vne lettre de vous, en voilà trois aujourdhui, voilà la quatrième que ie v͞s escris, ie vous en écrirai vne cinquième par la poste. Vos lettres sont délicieuses, v͞s m'y dites quelquefois des injures, et de celles qui m'afligent le plus, v͞s y doutés de mon amour, mais v͞s m'assurés du vôtre, la douceur d'être aimée adoucit même vos injustices. V͞s finissés la lettre de votre courier par me prier de v͞s aprendre à moins aimer, v͞s le désirés donc, mais asurément v͞s ne pouués plus mal v͞s adresser. Désirés v͞s que ie v͞s aime auec toute la fureur, toute la folie, tout l'emportement dont ie suis capable, montrés moi toujours autant d'amour qu'il y en a dans quelques endroits de vos lettres. Vous ne pouués vous imaginer combien elles m'enflament et quel amour les marques de votre passion excitent dans mon coeur. Tous mes sentimens sont durables, tout fait des traces profondes dans mon âme. I'ay passé trois mois à me persuader que v͞s étiés incapable de passion, que ie ne deuois pas me permettre de v͞s aimer auec toute la sensibilité de mon coeur, v͞s me faisiés sentir à tout moment que i'étois prête à v͞s perdre, il faut bien du tems et bien de l'amour p͞r ramesner mon coeur, ie ne passe jamais rapidement d'un sentiment à l'autre, asurément v͞s ne deués acuser quelqu'un qui v͞s parle ainsi que de trop de vérité, mais non pas d'exagération. Croiés que v͞s aués toujours lu dans mon coeur, ie veux toujours que v͞s y lisiés, que ne pouués v͞s voir àprésent ce qui s'y passe, combien ie v͞s adore, auec quelle impatience et quelle ardeur ie désire de me rejoindre à vous? Quand v͞s aimés v͞s remplissés tous les sentimens de mon coeur, v͞s réalisés toutes mes chimères, ie ne crois pas qu'il fût possible de trouuer vn coeur aussi tendre, aussi apliqué, aussi passionné que le vôtre, mais il a souuent des disparates, s'il n'en auoit pas, ie crois que ie partirois ce soir à pied p͞r l'aller trouuer, peutêtre m'aimerés v͞s égalem͞t quelque jour et alors ie ne désirerai plus rien. Ie viens de la messe où i'ay lu Tibulle et où ie ne me suis ocupée que de vous, croiés qu'il ne me manque p͞r v͞s aimer mille fois plus que v͞s ne m'aimés que de croire que votre amour, vos emportemens ne sont point vn beau songe. Ie sens que votre façon de m'aimer v͞s tire de votre caractère qui est tendre mais qui n'est point emporté. Ne doisje pas craindre à tout moment que la paresse de votre coeur ne vous replonge dans cette apathie que v͞s apelliés de la tendresse et du sentiment? Que feriés v͞s alors d'un coeur come le mien? Voilà ce qui m'a retenu jusqu'àprésent, il ne tien qu'à v͞s de me faire voir que i'ay tort et que vs mérités tout mon coeur. Voulés v͞s que ie v͞s l'auouë? il me semble que v͞s ne m'aués bien aimé que pendant votre maladie. Ie ne puis me plaindre, ce sont des nuances imperceptibles, mais mon coeur n'en échape aucune. Ayés cependant soin de votre santé, baignés v͞s, v͞s en aurés le tems par malheur, v͞s v͞s consoleriés de ma mort si ie m'étois tuée dans le trou où ie tombai en v͞s allant voir, mais ie ne me consolerois pas si ie v͞s causois la plus petite incomodité quoique v͞s ne m'aimiés bien que quand vous êtes malade. Si v͞s m'aimés voiés Girandet. Voilà la grandeur de ma bague, ie sens combien cela me manque ici, ie le veux, ie l'exige, et ie le mérite.