lundi
Ie viens de receuoir vos papiers, ou p͞r mieux dire votre papier.
Ie ne puis v͞s pardoner votre négligence, car puis que les comisaires trouuent vos titres bons, cela auroit pasé sans dificulté et il y en aura beaucoup à les faire receuoir par suplém͞t de la part de notre contrôleur général qui est le plus dur et le plus dificultueux de tous les homes. Ie viens de copier ce papier, et ie v͞s le renuoie. Ie vais escrire à m͞e de Sterasi et faire de mon mieux, mais ie doute beaucoup àprésent du succès, à cause des dificultés que n͞s trouuerons de la part de la France qui, come v͞s croiés bien, paie ces dettes fort à contrecoeur.
Pendant que ie suis à l'article de vos affaires il faut que ie les coule à fons, mr de B. a dit au p. de Beauueau que son fils auoit le régim͞t de Tianges, qu'il ne vouloit point auoir l'air que ce fût p͞r lui qu'on renuoiât Belac, cependant il est sûr que Belac sera renuoié, et que c'est vn homme difamé, et alors sûrem͞t m. de R. aura la compagnie, car elle vaut mille escus. Ie mande à m͞e de B. tout cela, et ie la prie de vous garder le régim͞t quand son fils aura la compagnie. Elle n'a pas encore escrit à mlle la Rochesurion. I'ay pris sur moi, et i'y ai beaucoup pris, vû ce qui s'est passé à Plombieres, de faire semblant d'auoir reçu vne lettre de m͞e de B. dans laquelle elle me prioit de lui recomander votre affaire. Mlle la Roch. m'a dit, que le r. l'auoit reçuë auec vne telle humeur quand elle lui en auoit parlé, qu'elle n'oseroit pas recomencer. I'ay vu que le p. de B. l'en auoit prié très faiblem͞t. Il s'obstine ce prince à n'en point parler lui même, et v͞s sentés combien il est ridicule de faire parler par mlle de la Roch. d'une afaire dont il n'ose pas dire un mot. Enfin ie ne vois nulle aparence à son succès. Il y faudroit mettre du courage, de l'obstination et de la chaleur, et on n'a rien de tout cela. Ie n'ai point marqué à me B. ce détail, parceque ie veux laisser ariuer la lettre, que ie crois qu'elle escrira à la fin, et qui poura faire encore quelque chose. Il n'i a que le régim͞t de vraisemblable, en cas que ce Rem. le quitte, et des gratifications, mais ie voudrois bien que v͞s eussiés en moi la confiance de me dire une fois p͞r toutes l'état de vos affaires, car quand v͞s m'en aués parlé v͞s ne m'auiés rien dit de cette foule de petits créanciers qui v͞s désoloient. Il faudroit netoier tout cela, et ceux dont v͞s paiés des intérêts, et garder votre major, qui à ce que m'a dit le prince attendra tant que v͞s voudrés, et vos amis pour les derniers.
Ie v͞s prie de me mander si v͞s serés tranquille et arangé en cas que i'obtienne encore 50 £ du roy. Ie les aurai sûrem͞t si ie veux, et ie le voudrai dès que ie ne verai plus jour à autre chose, mais i'auoue que ie ne serai tranquille que quand v͞s le serés, et que votre fortune, dans sa médiocrité, sera du moins aussi arangée qu'elle le peut être. Il faut regarder l'affaire de Viene come vn hasard heureux qui poura très bien ne point ariuer, et en vérité par votre fautte, et celle de vos parens. L'empereur à ce que i'espère acordera la permission de faire examiner vos titres par les comisaires, mais l'admission de votre dette, par obmission, voilà ce qui arêtera, et dont i'augure très mal, ainsi que ie voudrois que v͞s fusiés arangé indépendam͞t de cela. Si les petites obligations que v͞s croiés m'auoir de mon zèle, v͞s gênent sur les reproches que v͞s voudriés me faire, ie suis bien malheureuse, car de cet embaras à la cessation du goût, il n'i a pas loin, p͞r moi ma délicatesse doit bien plus encore me doner des entraues. Ie suis dans la classe de vos amis qui ne peuuent pas tout ce qu'ils veulent, et i'aime bien mieux cette classe que l'autre, mais vous vous croiés autant lié par la reconoissance des efforts, même impuissans, que v͞s le seriés par les effets, et de tout cela, il en ariue que v͞s m'aimés beaucoup moins, et que v͞s ne m'aimerés bientôt plus du tout, ie le vois par l'embaras qui règne dans vos lettres et sur tout par la facilité auec laquelle v͞s v͞s étiés déterminé à v͞s séparer de moi.
Ie ne me repens point de v͞s auoir empêché d'entrer dans les grenadiers, c'étoit votre malheur, et la plus grande fautte que v͞s pussiés faire de votre vie, et si v͞s pouués jamais m'auoir vne obligation, c'est celle là.
I'irai cependant acoucher en Loraine, quoique mon coeur sente toutes les diférences qu'il y a dans la manière dont v͞s m'aimés et celle dont v͞s m'aués aimé. Votre lettre au che͞r de Listenai, vos grenadiers, et bien des endroits de vos lettres me le font sentir, et ce qui m'aflige le plus sensiblem͞t c'est que la manière emportée dont ie v͞s ai marqué mon amour a produit cet efet, auquel ie ne pouuois pas m'attendre. M͞e de B. met des grâces dans les choses qu'elle fait que ie n'i mettrai jamais. V͞s êtes tout étoné, et asurém͞t ie dois l'être, que son amitié délicieuse ne v͞s tienne pas lieu de moi et de tout. V͞s me quitterés p͞r elle, en v͞s le reprochant, v͞s ne me tenés plus que par reconoissance, non de ce que ie puis auoir fait p͞r v͞s, car ie n'ai rien fait encore, mais de tout l'amour que ie v͞s ai marqué, et i'auoue que votre amitié, votre reconoissance, toutes les espèces de sentimens que vous pouriés auoir p͞r moi, ne pouront jamais me rendre heureuse. Votre amour tel que ie l'ai connu est nécessaire au bonheur de ma vie, ie ne sais ce que ie vais chercher en Loraine, ie ne sais ce que i'y ferai, mais ie sais bien qu'il faut que ie sois dans le même lieu que v͞s. Ie ne suis sûre dans toute ma vie que de deux choses, ie ne haïrai jamais m͞e de Bouf. et ie n'aurai jamais d'amitié p͞r v͞s. Ie voudrais ne v͞s auoir jamais conu, car uous conoissant ie ne puis souhaiter de ne v͞s pas aimer. Cependant ie regrette mon indiférence, ie serois au désespoir que v͞s ne fussiés pas à Luneuille, et ie ne puis v͞s y sauoir, et être tranquille.
M͞e de B. me fait l'éloge de votre amour p͞r moi, ie deurois en être bien aise, ie lui en sais gré, et cependant tout m'est suspect de ce côté là. Ma tête est vn cahos de contradictions. Si elle ne fût reuenuë que cet hiuer, ie l'aurois quittée. Cette frase est toujours dans mon esprit. V͞s êtes bien cruel d'auoir troublé le bonheur que ie trouuois à vous aimer si tendrem͞t, v͞s ne conoissés pas tout ce que v͞s m'aués ôté, v͞s ne répondés plus à mes lettres, elles sont toujours du moins le double des vôtres, et v͞s laissés beaucoup de choses sans réponse. Ie sens que ie v͞s deuiendrai odieuse à force de reproches, mais ie v͞s l'ai dit et v͞s l'aués voulu, il n'est pas aisé de faire mon bonheur, le tems où ie ne trouuois rien à v͞s reprocher est bien passé. M͞e de B., me marqués v͞s, étoit résolue à tout faire p͞r que v͞s ne v͞s éloignassiés pas d'elle. Cependant dans vne lettre du 12 que ie v͞s garde, elle me marque qu'elle ne voit de resource p͞r v͞s que les grenadiers si l'affaire de Pimont ne réussisoit pas, or elle n'a pas encore escrit p͞r l'affaire de Pimont et si v͞s sauiés come le p. en a parlé à mlle la Roch. et auec quelle nonchalance elle prend cette affaire v͞s veriés qu'il faudroit que le r. en mourût d'enuie p͞r la faire. I'aime m͞e de B. de tout mon coeur, elle a le coeur excelent, mais elle ne met de chaleur à rien, ie ne veux auoir que ce mérite là auprès de v͞s, mais soiés sûr que si ie ne m'i étois pas oposée v͞s seriés aux grenadiers àprésent. Le p. a refusé de v͞s y nomer, du moins il l'a retardé et en cela ie lui dois plus qu'à v͞s, il ne l'a pas fait p͞r m'obliger, mais il m'a rendu sur cela vn seruice que ie ne dois jamais oublier, et v͞s, v͞s ne deués jamais vous souuenir de tout ce que ie v͞s dis sur sa nonchalance, sa faiblesse, sa pusillanimité dans l'amitié. Il joint à tous ses défauts des choses excelentes, et le bonheur de notre vie, celui de viure ensemble si v͞s v͞s en souciés dépendra beaucoup de lui. Ie viens de faire faire 2 copies du mémoire que ie v͞s enuoie, elles partiront jeudi, l'une que ie fais enuoier à Tousaint par quelqu'un qu'il aime beaucoup, et l'autre que i'enuoie à m͞e Desterasi. Ie ne perdrai pas vn moment à v͞s enuoier la réponse. Ie voudrois bien que cette affaire pût finir à tems, engagés Baudouin à trainer vn peu. Ie sais bien que les comisaires ne peuuent mettre votre dette sur l'état sans la permission de l'empereur, mais s'ils sont només p͞r examiner ses dettes, ils pouroient toujours examiner vos titres en attendant la réponse de Viene à votre requête. Cette réponse venue l'examen de vos titres trainera encore du tems et v͞s ariuerés trop tard. Songés du moins à rassembler vos pièces, v͞s dites que la pluspart v͞s manquent, il faut chercher les moiens d'y supléer et me mander quels sont ceux que ie puis v͞s procurer p͞r que i'en fasse faire la recherche. V͞s ne retournerés pas à Nanci p͞r cela, cela en vaudroit pourtant la peine surtout p͞r engager les comissaires à l'examen de votre créance. L'admission après cela dépendra de la réponse de Viene, mais faites vn peu souuenir le prince de ce que v͞s m'aués marqué dans vne lettre qu'il v͞s auoit dit qu'il se faisoit fort de v͞s faire auoir vne some sur la vente du régiment de Polignac p͞r paier vos dettes, c'est vn point à ne pas négliger mais qu'il négligera très volontiers. Ie dine ici tous les jours et ie ne soupe point, ie mange très peu et ie digère encore moins, ie ne sais combien i'y resterai, ie ne sors pas de Trianon, ie trauaille tout le jour, c'est à dire le tems que i'ay de libre et toute la nuit dans l'espérance d'auancer mon départ, mais ie n'auance guères. Ma miraculeuse santé se dérange vn peu, si ie puis ariuer en Loraine ie crois que ie l'y retrouuerai, sur tout si ie retrouue votre coeur tel que ie l'ai laissé, mais ne me faites point sentir que v͞s prenés votre parti de m'aimer et de ne me rien reprocher parceque ie veux v͞s rendre si ie puis quelques seruices p͞r vos affaires, cela me met au désespoir.
mardi
V͞s trouuerés bien de la tristesse et de l'humeur dans cette lettre, mais celle que ie reçois de v͞s de Nanci du 18, ne me laisse plus que l'enuie de v͞s en demander pardon. Pourquoi ne m'escriués v͞s jamais si tendrement de Luneuille? Mais ie ne veux rien v͞s reprocher aujourdhui et ie l'oublie, ie veux v͞s dire que ie v͞s adore, et que votre amour, quand mon coeur est content, fait le bonheur de ma vie. Ne craignés point le voiage de m͞e de B., elle ne viendra pas, à ce que ie crois, ie ne v͞s cache pas que ie fais tout ce que ie puis pour qu'elle viene, ie l'aime bien mieux ici qu'à Luneuille surtout quand ie n'i suis pas, et de plus ie crois qu'il seroit essentiel p͞r elle de venir. Voilà au fait le motif qui me détermine, mais quand elle viendroit mon état me fournit des raisons p͞r ne la pas attendre, mais ie crains que mon liure ne me retarde plus qu'elle. Ie ne pers pas vn moment de tems, ie sacrifie au trauail toutes sortes de plaisirs et même ma santé et le souper, mais malgré cela les dissipations et les deuoirs se multiplient. Quand le r. sera parti, ie m'enfermerai p͞r trauailler, v͞s m'aués tellement agitée et affligée que ie v͞s jure que i'ay été plus d'un mois sans pouuoir m'apliquer. Croiés que quand on aime aussi tendrem͞t que moi, on se trouue bien malheureuse d'être séparée de son amant, soiés sûr que ie ne resterai pas vne demie heure de plus qu'il ne faut, mais ie v͞s auoue que ie veux finir mon ouurage, surtout à la veille d'acoucher, et pouuant très bien mourir en couche. Ie perdrai cette idée quand ie serai auec v͞s, le malheur et les idées funestes ne pouront trouuer alors d'entrée dans mon âme, mais ie me conduis en conséquence de cette idée qui est au moins vraisemblable, et cela a augmenté mes affaires, ie veux les laisser en ordre, et prendre des mesures p͞r mes papiers dont l'arangement m'a encore beaucoup tenu et n'est pas fait. Ie ne crois pas, malgré tant d'embaras, auoir racourci mes lettres, ie v͞s escris p͞r mon bonheur, et c'est le seul tems où ie sois heureuse. Dans les autres tems ie suporte la vie, ne soiés donc plus injuste.
Dans cette lettre de Nanci qui me rend si heureuse, qui me console de tout, il y a cependant vne frase qui m'aflige, il me semble que quoique v͞s pussiés faire ie dois toujours v͞s aimer. Mais il est bien sûr que ie ne ferai jamais rien dont v͞s pussiés v͞s plaindre, si ce n'est de v͞s escrire de trop longues lettres. Ie suis honteuse de celle ci, mais coment la finir sans v͞s dire combien ie suis enchantée d'auoir votre portrait, ce ne sont pas vos yeux, ce n'est pas votre phisionomie, mais enfin il vous ressemble, et il fait mon bonheur, ie v͞s en remercie auec transport quoique v͞s me l'aiés fait bien longtems attendre. Il y a eu vne lettre de v͞s de perduë l'auant dernière poste, cela est sûr, il est sûr aussi que ie n'ai point reçu celle où v͞s me marquiés que les eaux de Plombieres seroient votre prétexte p͞r venir à mes couches, mais coment se peut il faire que v͞s receuiés le 18 auril vne lettre escrite le 28 mars, cela est incroiable.
Que peut donc v͞s faire Chatelard? Il faut que ce soit vn véritable ours, car vous n'aués été à Luneuille que p͞r être auec le prince. Ie suis bien aise que n͞s en soions défait cet été, mais il reuiendra, et il faudroit pourtant tâcher de n'en pas dépendre. Estce qu'il pourait v͞s empêcher d'être à Luneuille s'il vouloit, pouruu que v͞s ne manquiés pas? Cela seroit rigoureux. I'aime mieux n'auoir pas vos vers que de v͞s obliger à trauailler. V͞s deuriés auoir assés de confiance en moi p͞r me les enuoier esquissés, et il est bien sûr que ie ne les montrerai point. Ie suis déjà tourmentée de cette épitre à m. Bouflers, ie serai bien dificile ie v͞s en auertis, et ie ne veux aucune équiuoque de sentiment, et aucune coquetrie. I'espère et i'exige que v͞s n'en montriés pas vn vers ni à elle, ni à Panpan que ie ne l'ai vuë, et que ie n'i aie vuë, et que ie n'i aie consenti. Assurém͞t i'espère bien que les vers que v͞s ferés p͞r elle seront d'un autre ton que ceux que v͞s faites p͞r moi, mais il me faut au moins vne octave de diférence, ie ne me contenterai pas des nuances. De toutes les choses ce qui peut le plus m'inquiéter, c'est cette idée de faire des vers p͞r elle, ie sais que c'est vne des façons les plus sûres de lui plaire et ie pourois encore … mais non ie ne veux rien croire, v͞s seriés trop coupable si v͞s me trompiés, et si votre coeur auoit le plus petit reproche à se faire. Ie ne veux point v͞s en faire aujourdhui, votre lettre m'enchante, ie la relis et ie v͞s adore. V͞s aués bien raison d'être inquiet de Mignone, ie le suis aussi, et ie n'ai point de lettres de sa mère aujourdhui, i'espère que v͞s m'en manderés de Luneuille. Acusés moi donc la réception de vos reliefs, le p. prétend que v͞s les perdrés, que v͞s ne savez pas garder vn papier, cela me fait trembler p͞r mes lettres. Votre escritoire doit être comblé, où les mettés v͞s? Ie v͞s conseille de les brûler, il y en a qui ne doiuent être vuës dans l'uniuers que de v͞s. Le r. de P. prétend que ie suis rauie d'être grose et que i'aime déjà mon enfant à la folie. Il est vrai que depuis que ie suis sûre d'acoucher à Luneuille ie suis bien moins fâchée de mon état. Le r. de P. est charmant p͞r moi, s'il sauoit tout ce qu'il gâte par vne injuste obstination, il me feroit l'aimer autant que ie le dois. Mais coment le lui pardoner? Ie ne conais de lui injuste qu'en ce point. Adieu, ie vous aime pasionném͞t, et ie trouue vn plaisir bien délicieux à v͞s le dire, oüi ie v͞s adore, mon dieu que ie suis heureuse. Adieu.[………].
V͞s me parlés de votre santé et v͞s ne me dites jamais si v͞s n'aués point mal au côté ni de groseur, cela m'inquiète beaucoup et ie v͞s suplie de m'en parler.