1749-04-20, de Gabrielle Émilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise Du Châtelet-Lomont à Jean François de Saint-Lambert, marquis de Saint-Lambert.

Ie n'ai point de lettres de v͞s encore aujourd'hui, cela est abominable, cela est d'une dureté et d'une barbarie qui est audessus de toute qualification, comme la douleur où ie suis est audessus de toute expression.
Ne soiés pas cependant excédé de mes lettres, si ie n'en reçois pas la première poste, ie ne v͞s escrirai plus. En récompense m͞e de B. m'escrit beaucoup, ie ne crois pas qu'elle pense que la moitié de la place de m. de Polignac que le roi m'offre p͞r mon fils, ni la Loraine entière quand elle me la doneroit puisse me dédomager vn moment de ce qu'elle m'ôte. C'est bien moi qui ne v͞s ferai plus de reproches parceque i'en ai trop à v͞s faire. On m'aportera peutêtre cet après midi mes lettres que v͞s aurés renuoié à mr Dargenson, ie m'attens à tout, et ie saurai tout souffrir sans qu'il m'échape jamais vn mot dont m͞e de B. ni v͞s puissiés v͞s plaindre. Ie lui escris vne grande lettre aujourdhui et ie lui parle du régim͞t de m. de Thianges, à qui come ie v͞s l'ai mandé, i'ay prié le che͞r de Listenai de parler. Ie serois moins afligée de vos procédés si ie voiois quelque vraisemblance à cette affaire, votre bonheur et votre fortune sont la seul manière de me consoler de votre perte. Ie n'ai pas passé vne seule poste sans v͞s escrire, même plusieurs lettres, il y a bien longtems qu'elles sont d'un ton qui attendriroit tout autre que v͞s. Ie ne v͞s soupçone pas de les montrer, ie ne v͞s prie que de les brûler.

Si v͞s aués promis de ne me plus écrire v͞s êtes plus éxact à cette parolle qu'à celles que v͞s m'auiés si souuent données, car il y a 2 postes que ie n'ai reçu de lettres de vous. Si ie pouuois me blesser ie serois encore trop heureuse, ma grosese augmente encore mon désespoir, cependant ie me conserue come si la vie m'étoit chère. Croiés qu'en parlant au r. à Trianon ie lui dirai tout ce qu'il lui faut dire p͞r qu'il ne soit pas indisposé contre vous, que v͞s n'aurés jamais à v͞s plaindre de moi, mais il n'i a persone qui puisse m'imposer le suplice de v͞s reuoir, puisque v͞s ne m'aimés plus et que ie v͞s adore. Ie suis en peine de votre santé, si v͞s étiés malade, ie serois encore plus à plaindre, donés en du moins des nouuelles au che͞r de Listenai, v͞s n'aués peutêtre pas promis de ne lui plus écrire.

Ie parle du régim͞t à m͞e B. dans vne lettre ostensible au roy, et ie lui parle de l'intérest que i'y prens. S'il a repris des soupçons cela les dissipera et c'est encore vn service que ie v͞s rens à tous deux sur lequel ie crois que v͞s ne comtiés pas.

Il m'a passé vne folie par la tête, car que ne m'y pasetil pas, c'est de prendre le prétexte de la place de Polignac p͞r mener mon fils à Luneuille prendre possession et remercier auant le départ du roy, et ie v͞s jure que sans ma grosesse ie l'aurois fait, mais quelque malheureuse que v͞s me rendiés, ie veux vous conseruer quelqu'un que v͞s deués aimer, et ie ne veux jamais auoir à me faire de ces reproches qu'on ne peut se pardoner, mais n'êtes v͞s pas dans ce cas là auec v͞s même? Vne chose qui m'a retenuë encore, c'est que si v͞s aués changé, si v͞s m'aués trahie, ma présence v͞s seroit importune et si v͞s m'aimés encore vous me saurés gré d'auoir refusé cette satisfaction à mon impétuosité et d'auoir préparé ma conservation, mais il n'y a plus de si.