Ce 10 juin [1748] à Paris
Il arriue certainement quelque chose de singulier aux lettres que ie v͞s escris, ie n'ai pas passé vne seule poste sans v͞s escrire, j'ay du moins cet auantage là sur vous, et v͞s me parlés de 2 postes sans auoir eü de lettres, cela est incroiable, on met toutes mes lettres p͞r la Loraine à la poste à la fois, on reçoit toutes les autres, que deuiennent les vôtres?
cela me passe. Tâchés de les retrouuer, comptés par poste, depuis mon ariuée à Paris, v͞s en deués auoir autant qu'il y a eü de postes et même vne de plus que ie v͞s ai escrit par Mets p͞r v͞s aprendre la paix de la reine de Hongrie. Voilà bien du tems perdu en détail de courriers, mais il m'est important de me justifier auprès de v͞s, et que mes lettres ne soient pas perduës. Comtés que ie ne pourois pas prendre sur moi d'être deux postes ni même vne sans v͞s escrire, et que quelque mécontente que ie fusse de v͞s ce ne seroit jamais froidem͞t que ie pourois prendre cela sur moi. Non ie ne v͞s cherche point de querelle, et ie ne suis que trop portée à v͞s justifier. V͞s aués été acoutumé à traiter l'amour si légèrem͞t, v͞s aués sur cela des idées si oposées à celles qui peuuent me rendre heureuse que ie ne suis point encore sans crainte auec v͞s, et mon caractère est si vrai que ie ne puis auoir vn moment de crainte sans v͞s la marquer, et sans que mon amour n'en souffre. Ie crains votre inconstance, il est vrai, mais ie crains presqu'autant votre tiédeur, ie n'ai jamais eu d'art, et ie crois en auoir besoin auec v͞s, ie crois deuoir v͞s cacher vne partie de ce que ie sens, et quand vos lettres sont vn peu moins tendres, ie crois votre goût fini, et il ne me reste que des remors. Voilà l'état de mon coeur, si v͞s n'en êtes pas content prenés v͞s en à v͞s même, ie ne sais point v͞s deuiner et tout ce que ie puis faire, c'est de croire que v͞s m'aimés quand v͞s me le dites. V͞s ne manqués guères de saisir vne ocasion de m'escrire vne lettre courte, moi il faut que ie prenne beaucoup sur moi p͞r finir les miennes, et cependant ie v͞s jure que ie ne manque ni d'affaires ni d'embaras, il faut que ie v͞s rende compte de ma santé, de mes affaires et de mes marchés. I'ay enfin pris sur moi de prendre médecine, huit jours de la diète la plus rigoureuse n'ont pu me guérir ce qui me prouue que le chagrin empoisone la diète même, ie ne sais si ie me trouuerai mieux de ma médecine, mais ie n'aurai pas à me reprocher d'être malade par ma faute. Ie ne dors ni ne mange, et ie tousse, du reste ie n'ai pas de fièure, et ie vais p͞r mes affaires, elles vont un peu mieux, ie ne puis trop me louer du r. de P., de m. de Croix et de m͞e de B. qui est une amie adorable, elle met vne sensibilité dans l'amitié dont à peine ie l'eusse cru capable, et quoique ie l'aime avec vne tendresse extrême ie trouue que ie ne l'aime point trop. V͞s saués sans doute que m. de Croix a escrit au nom du r. de P. pour faire changer la patente, ie ne sais ce que fera m. Dargenson, ie l'ai vu depuis ma dernière lettre, et on ne peut pas être plus mécontente que ie l'étois quand ie suis sortie de chés lui, si ie v͞s comte cela quelque jour v͞s verés que ie suis bien à plaindre et que v͞s ne m'aués jamais plaint autant que v͞s le deuiés.
J'attens la réponse de m͞e de B. sur la prop. que ie lui ay fait d'aller tout à l'heure à Comerci, on a fait tout ce que ie demandois, mais ie me flatte que v͞s ne douttés pas que la reconoissance ne décide encore plus promtem͞t mon voiage que n'auroit fait l'intérest. Ie ferai expédier la patente si tant est qu'on la change, et ie partirai. Ie suis rauie de la possibilité que v͞s aués d'aller à Comerci, profités en, allés m'y attendre afin que cela soit moins marqué. Quand mlle Larochesurion et toute la compagnie y arriuera i'yrai à Cirey et i'espère que v͞s ne m'i laisserés pas aller seule. Ie crois auoir répondu à vos questions qui étoient vn peu précises, v͞s aués trop l'air de metre le marché à la main et de ne tenir à rien, coment voulés v͞s qu'on ait auec v͞s cette confiance et cette sûreté sans laquelle mon coeur n'est point à son aise, et ne peut bien aimer. Peutêtre faudroit il mieux n'être que votre amie, il semble que vous m'y inuitiés dans votre lettre, mais la première place est prise dans mon coeur, v͞s contenteriés v͞s de la seconde? Ie ne sais, mais ie n'ai point enuie d'être votre amie, fâchés v͞s en si v͞s voulés.
Pardonés moi les querelles que ie v͞s fais auec m͞e de B., elles sont vraies et d'ailleurs ne peuuent v͞s faire de mal.