Non ie n'ai plus de soupçons, ie n'ai plus que de l'amour, il v͞s est si aisé de me les ôter ces soupçons que v͞s êtes bien coupable de me les laisser. C'est en m'escriuant des lettres tendres que v͞s les détruirés plus encore qu'en allant à Nanci, où ie serai cependant bien aise de v͞s sauoir le [? 1er ]. V͞s v͞s justifiés bien froidem͞t de votre lettre au che͞r de Listenai, v͞s ne me dites plus qu'il v͞s seroit impossible de me quitter, v͞s v͞s êtes familiarisé auec cette idée, elle ne v͞s efraie plus, et ie crains que cela ne v͞s deuiene plus aisé à mesure que cela me seroit plus dificile. V͞s ne m'aués pas grondée vne seule fois d'être restée à Paris le mois de mai, et v͞s me paroisés craindre égalem͞t que ie ne parte tard et que v͞s ne restiés à Cirey quelques jours auec m. du Chatelet. Mon départ ne dépend absolum͞t pas de moi, mais de Cleraut et de la dificulté de ce que ie fais, j'y sacrifie tout, jusqu'à ma figure, ie v͞s prie de v͞s en souuenir si v͞s me trouués changée. Saués v͞s la vie que ie mène depuis le départ du roy? Ie me lèue à 9 heures, quelquefois à 8, ie trauaille jusqu'à 3, ie prens mon café à 3 heures, ie reprens le trauail à 4, ie le quitte à 10 p͞r manger vn morceau seule, ie cause jusqu'à minuit auec m. de V. qui asiste à mon souper et ie reprens le trauail à minuit jusqu'à 5 heures, quelque fois i'attens après m. Cleraut, et i'emploie le tems à mes afaires et à reuoir mes épreuues. M͞e du Defant, m͞e de B., tout le monde sans exception est refusé pour souper et ie me suis fait vne loi de ne plus souper dehors p͞r pouuoir finir. Ie conuiens que si i'auois mené cette vie depuis que ie suis à Paris i'aurois fini àprésent, mais i'ay comencé par auoir beaucoup d'afaires, ie me suis liurée à la société le soir, ie croiois que la journée me sufiroit, i'ay vu qu'il falloit ou renoncer à aller acoucher à Luneuille, ou perdre tout le fruit de mon trauail en cas que ie meure en couche, ou me laisser des chaines p͞r reuenir ici incessam͞t après mes couches en cas que ie n'en meure pas, et i'ay senti que le seul moien d'éuiter tous les inconuéniens qui se croisoient, et de mettre mon voiage de Paris à profit qui m'a asés coûté de chagrin p͞r du moins en retirer quelqu'auantage, c'étoit de me séquestrer absolum͞t, de risquer le tout p͞r le tout, et de ne plus faire que mon liure. Ma santé se soutient merueilleusem͞t, ie suis sobre et ie me noie d'orgeat, cela me soutient. Mon enfant remue beaucoup, et se porte à ce que i'espère aussi bien que moi. Si ie pouuois joüir de m. Cleraut ie partirois à la fin du mois. Il me restera encore bien des choses à faire làbas, et ie ne resterai ici que le tems nécesaire p͞r finir celles où le conseil de m. Cleraut m'est indispensablem͞t nécesaire. Si ie pouuois le r'amener auec moi ie serois partie il y a longtems, mais c'est là chose imposible.
M͞e B. me mande le voiage de mlle Dandreselle et l'intérêt que le che͞r y prend. Ainsi voilà nos projets plus reculés que jamais, j'auouë que s'ils pouuoient s'exécuter ils feroient le charme et la tranquilité de ma vie. I'enuoie toujours des lettres du V. mais si i'étois bien sûre de v͞s ie m'oposerois bien à ce qu'elle le reprit, il est sot et tracasier. Ce n'est pas la peine, il faut que ie v͞s réponde à la crainte que v͞s aués d'être seul à Cirey auec m. du Chatelet, il ne dépend pas absolum͞t de moi de v͞s en garantir, et si v͞s aimés mieux me voir 10 ou 12 jours plus tard que de risquer cet accident, ie n'ai rien à v͞s dire. Il me semble que v͞s mettés cela dans la balance, et v͞s deués sentir l'effet que cela fait sur moi, la crainte de v͞s exposer à cet accident m'empêche de doner vn jour fixe à m. du Chatelet dans la crainte d'y manquer. Mon voiage dépend de la bone volonté de m. Cleraut et du tems qu'il me done, et ie ne puis encore prendre de jour positif, il faudroit le prendre trop éloigné. Le voiage du roi à Comerci me chagrine, si ie ne suis pas partie quand il partira, il faudra, ie crois, engager m. du Chatelet à v͞s mener à Comerci, v͞s emparer du gite du gratieux curé, et ie ne tarderai pas i'espère à v͞s en faire partir. I'escris par cette poste au che͞r p͞r le presser de doner rendés v͞s à Cirey à mlle Dandreselle que i'irai en prier si cela peut lui conuenir, et que i'amènerai même s'il le veut. Le r. me dit l'anée pasée qu'il ne faloit point de permission p͞r aller à Comerci, ainsi ie ne vois rien qui puisse s'oposer à votre voiage, v͞s aurés pasé quinze jours enuiron à Nanci, c'en sera asés et p͞r v͞s et p͞r moi, engagés m. du Chatelet à v͞s faire part des détails que ie lui mande sur cela, cela v͞s sera plus aisé p͞r peu que v͞s lui en parliés. Ie ne vois plus d'aparence au voiage de m͞e Bouflers, elle me traite délicieusem͞t et ie l'aime autant que ie la crains, ce qui est bien rare. Ie v͞s promets qu'elle viene ou non de ne pas l'attendre. On retourne le 12 à Marli jusqu'au 20, on va le 1er juillet à Compiegne, ie ne vois guères là le tems de son voiage. On me propose de jouer la mère coquette, le voulés v͞s? Ie ne puis rien aimer que ce que ie partage auec v͞s, car ie n'aime pas Neuton, au moins ie le finis par raison, et par honeur, mais ie n'aime que v͞s et ce qui a raport à v͞s.
Préssés le che͞r de doner ce rendés v͞s à mlle Dandreselle à Cirey. En ce cas il y viendroit auec v͞s, et v͞s ne craindriés plus j'espère de rester à Cirey 24 heures. Ie l'amènerois à Comerci, cela seroit très agréable. Ie prie m͞e B. de garder mon fils sous prétexte des comédies, il ne feroit que n͞s embaraser à Cirey. I'espère qu'après auoir eu tant de congés p͞r Luneuille v͞s prenés vos mesures p͞r en auoir vn pour Cirey. Ie n'i serai que le tems que v͞s voudrés, et ie me promets bien de paser ma vie à faire votre volonté, car ie veux croire qu'elle sera toujours de ne v͞s jamais quitter.
Le p. parle d'un voiage d'Angletere l'anée prochaine, mais ie ne crains pas que v͞s me sacrifiés à aucun prince, il m'a parlé de vos affaires le premier, ie ne lui en parlois plus parce que i'en conois l'inutilité; il faut toujours être bien auec lui, joüir des grâces et de la facilité de son comerce, et n'en rien attendre. I'ay toujours aussi viuem͞t dans la tête l'affaire du régim͞t, et ie la crois seule faisable. Ie ne suis pas contente des réponses que i'ay reçu de Viene, ce n'est pas le dernier mot, et i'ay encore quelqu'espérance.
Adieu, voilà come on écrit quand on aime autant que ie fais. Adieu, ie v͞s adore, mon âme se détache p͞r v͞s aller trouuer, ie crois que ie mourerai de joie quand ie v͞s reuerai si ie v͞s retrouue tel que ie vous ai laissé. Votre santé m'inquiète, i'espère que v͞s ne me trompés pas par votre régime. I'espère que le che͞r n'a pas repris […], ie n'aime point qu'il v͞s done de mauuais exemples, songés que mlle Dandreselle est dans vne ignorance inuincible et que ie ne suis que trop sur la voie. V͞s me ne parlés plus ni de matin ni de saisons ni de ces vers sur la solitude auec ce qu'on aime. Que faites v͞s donc? Ie n'ai pu rien voir des saisons de l'abé de Bernis, il est presque aussi pareseux que v͞s. Répondés à toute cette lettre, votre réponse sera longue et les petites lettres me désespèrent, c'est vne preuue sûre qu'on n'a pas grand chose à dire et que par conséquent on n'aime guères.