samedi matin [31 August 1748]
C'est assurém͞t la plus malheureuse personne du monde qui v͞s escrit, on ne m'a point encore parlé, mais ie vois très clairement que n͞s resterons ici, et que les règles de m͞e de B. et ses prétenduës pertes lui seruiront de prétexte.
Le vicomte ne désire plus qu'elle aille à Sauerne, il aime mieux qu'elle reste ici, elle y est come vn chien, come vn pauure à l'hôpital, elle n'i dort pas vne minutte, et il est sûr que si sa santé va mal, elle ne s'y rétablira pas, mais elle est dure sur elle même, faible, et complaisante, et elle reste volontiers où elle est quelque mal qu'elle y soit, d'ailleurs elle aime mieux être ici auec sa perte qu'à Luneuille où elle n'aurait ni vicomte, ni comète. Enfin il faut sauoir souffrir ce qu'on ne peut empêcher, il n'i a qu'à n͞s imaginer que les 10 ou 11 jours que n͞s deuions être séparés doiuent être de suite, v͞s auriés pitié de moi si v͞s voiés l'excès de malaise et d'ennui où ie suis. Si quelque chose auoit pu adoucir le chagrin de votre absence ç’auroit été d'aller à Sauerne et à Strasbourg que i'ay fort enuie de voir. I'aurois mieux aimé être à Luneuille, mais enfin ie n'aurois pas eü du moins tous les malheurs ensemble, mais imaginés v͞s ce que c'est que d'être dans vne escurie toute seule tout le jour, de n'en sortir que p͞r tuer le tems par vne maudite comète qui ne m'intéresse point, et de penser que ie pourois passer à Cirey ou à Luneuille des jours délicieux auec v͞s.
Si le che͞r de Listenai n'étoit pas à Paris et qu'il eût été possible qu'il vint à Cirey, ie crois que ie me serois pendue de n'i auoir pas été. Le vicomte ne veut pas jouër le complaisant ainsi ne v͞s pressés pas d'aprendre votre rôle, mais ne répandés pas cette nouuelle. Ie crains que le trauail ne me manque, car ie trauaille 10 heures par jour et ie n'auois pas compté être si longtems. Dieu sait quand ceci finira. Il eût été impraticable que v͞s y vinssiés, premièrem͞t tout y est d'une chereté affreuse, et cela v͞s auroit ruiné. De plus, on est logé cinquante dans vne maison, j'ay un fermier général qui couche à côté de moi, n͞s ne somes séparés que par vne tapisserie, et quelque bas qu'on parle on entend tout ce qu'on dit, et quand quelqu'un vient v͞s voir, tout le monde le sait, et v͞s voit jusque dans le fons de votre chambre. N͞s ne mangeons que chés la ps͞se, v͞s n'i estes point assés familier p͞r y paser votre journée, enfin cela est impraticable de toutes façons. Il faut regarder ceci come un tems de calamité et tâcher de n'en plus essuier de semblable. Au bout du compte, si n͞s n'allons pas à Sauerne n͞s n'y perdrons pas beaucoup de tems, si mr du Chastellet conserue le comandem͞t de Loraine i'aurai vn établissement à Nancy où ie passerai les tems d'absence, ainsi ie ne dépendrai plus des autres. Comtés que p͞r passer ma vie auec v͞s, il n'i a rien que ie ne fasse, et qu'il n'i a point de fortune dont je voulusse si elle me séparoit de vous. Ie veux y passer tout le tems de ma vie, et ie ne sacrifierai jamais ce plaisir qu'à la décence, et ie l'y sacrifie, parceque ie crois qu'il y a plus à gagner qu'à perdre, et qu'une des choses qu'il faut le plus éuiter dans la vie, ce sont les remords. Ie ne sais quand v͞s receurés cette lettre mais c'est vne grande consolation p͞r moi de m'entretenir auec v͞s, et de v͞s ouurir mon coeur.