1749-06-10, de Frederick II, king of Prussia à Voltaire [François Marie Arouet].

Jamais on n'a fait d'aussi jolis vers pour des pilules; ce n'est point parce que j'y suis loué, je connais en cela l'usage des rois et des poètes; mais, en faisant abstraction de ce qui me regarde, je trouve ces vers charmants.

Si des purgatifs produisent d'aussi bons vers, je pourrais bien prendre une prise de séné, pour voir ce qu'elle opérera sur moi.

Ce que vous avez cru être une épigramme se trouve être une ode; je vous l'envoie avec une épigramme contre les médecins. J'ai lieu d'être un peu de mauvaise humeur contre leurs procédés; j'ai la goutte, et ils sont pensé me tuer, à force de sudorifiques.

Ecoutez, j'ai la folie de vous voir; ce sera une trahison si vous ne voulez pas vous prêter à me faire passer cette fantaisie. Je veux étudier avec vous; j'ai du loisir cette année, dieu sait si j'en aurai une autre. Mais, pour que vous ne vous imaginiez pas que vous allez en Laponie, je vous enverrai une douzaine de certificats par lesquels vous verrez que ce climat n'est pas tout à fait sans aménité.

On fait aller son corps comme l'on veut. Lorsque l'âme dit, Marche, il obéit. Voilà un de vos propres apophthegmes dont je veux bien vous faire ressouvenir.

Madame du Châtelet accouche dans le mois de septembre; vous n'êtes pas une sage-femme, ainsi elle fera fort bien ses couches sans vous; et, s'il le faut, vous pourrez alors être de retour à Paris. Croyez d'ailleurs que les plaisirs que l'on fait aux gens sans se faire tirer l'oreille, sont faits de meilleure grâce et sont plus agréables que lorsqu'on se fait tant solliciter.

Si je vous gronde, c'est que c'est l'usage des goutteux. Vous ferez ce qu'il vous plaira; mais je n'en serai pas la dupe, et je verrai bien si vous m'aimez sérieusement, ou si tout ce que vous me dites n'est qu'un verbiage de tragédie. Adieu.

Federic