1752-04-22, de Voltaire [François Marie Arouet] à Marie Louise Denis.

Voilà une plaisante idée qu'a du Molard de faire jouer Philoctete, en grec par des écoliers de l'université sur le théâtre de mon grenier! La pièce réussira sûrement car personne ne l'entendra.
Les gens qui font les cabales à Paris n'entendent point le grec. Je vous apprendrai qu'une héroïne de votre sexe l'entendait, ce n'est pas madame Dacier que je veux dire; elle n'avait pas l'air ni d'être héroïne ni d'avoir un sexe; c'est la reine Elisabeth. Elle avait traduit ce Philoctete de Sophocle en anglais.

Vous savez que le sujet de la pièce est un homme qui a mal au pied. Il faudrait prendre un goutteux pour jouer le rôle de Philoctete. Le roi de Prusse serait bien votre affaire, mais au lieu de crier aie, aie comme fait le héros grec admiré en cela par mr de Fenelon, il voudrait monter à cheval et exercer les soldats de Pirrus. Il a actuellement la goutte bien serré. Imaginez ce qu'il a pris? il a pris ses bottes! Son pied s'est enflé de plus belle. Dites à du Molard qu'il prenne quelque goutteux du collège de Navarre.

On commence actuellement à Dresde une seconde édition de Louis XIV, et il faut la diriger. Nouvelle peine, nouveau retardement. On m'a envoyé de nouveaux mémoires de tous côtés. J'ai eu un trésor, ce sont deux morceaux de la main de Louis XIV, bien collationnés à l'original. Il n'y a pas moyen d'abandonner son édifice quand on trouve des matériaux si précieux. On me flatte que cette édition sera bientôt achevée. J'ai une autre affaire en tête et que je vous communiquerai à la première occasion, &c.