près de Strasbourg 31e auguste [1753]
Dans une botte de Lettres qu'on me raporte, et qui ont voiagé comme moi, j'en trouve une de vous, ma chère paresseuse.
Vraiment je vois que dans les occasions vous vous mettez en mouvement. Je suis enchanté de vous; vous avez été à Versailles, vous vouliez aller à Plombieres, vous écrivez, Je ne reconnais plus Lisette. Si vôtre conseiller du grand conseil vous imite, il deviendra un actif personage. Il y a une distance bien énorme entre la vie des grues et la vie des poules. Vous êtes d'ordinaire un peu poules, mesdames du Marais; je ne dis pas poules mouillées; pour moi j'ai été un peu grue. J'ai voiagé avec mon long cou, et ne m'en suis pas trop bien trouvé, tandis que vous caquetiez vous autres tranquilement dans vôtre poulailler. Franchement, mon cœur, l'avanture de vôtre sœur a été bien affreuse. Elle s'est vue l'héroïne et le martir de l'amitié, mais certainement ceux qui l'ont traittée avec cette indignité barbare, n'ont pas agi en héros, et mériteraient d'être martirs. J'ai toujours devant les yeux ce qu'elle a éprouvé, et j'en suis encore aussi étonné et aussi affligé que le premier jour. Si on avait traitté ainsi une anglaise la nation ne le soufrirait pas, mais on fait aux françaises tout ce qu'on veut, et on ne s'en inquiète point.
Si j'avais cru vous trouver à Plombieres, j'y aurais couru, et ne me serais arrêté ni à Mayence, ni chez l'Electeur palatin; mais le temps s'est passé, mes doigts se sont enflés, et me voicy à Strasbourg avec des mains un peu trop grosses, attachées à des bras fort maigres. Les rois m'ont lutiné, et Dieu me lutine à présent; j'ai beaucoup de résignationà ces deux puissances etca.