1752-12-18, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Jean François Hénault.

Voici, mon cher et illustre confrère, une lettre de bonne année.
Je ne suis pas accoutumé à faire de ces compliments là; mais j'aime à vous dire:

Qu'il vive autant que son ouvrage,
Qu'il vive autant que tous les rois
Dont il parle sans verbiage.

J'ai à vous avouer que j'ai été, moi, beaucoup trop verbiageur sur l'histoire de la dernière guerre, dont j'ai envoyé le manuscrit à m. d'Argenson. Je devais faire de cette histoire un ouvrage aussi intéressant que le Siècle de Louis XIV. Je ne l'ai point fait; j'ai trop étouffé l'intérêt sous des détails; cela est ennuyeux pour les acteurs mêmes.

C'est donc quelque chose de bien vilain que la guerre, puisque les particularités les plus honorables des grandes actions font baîller ceux qui les ont conduites.

Je regarde ce que j'ai envoyé à m. d'Argenson, comme des matériaux qu'il m'avait confiés et qui lui appartiennent. J'en fais à présent un édifice plus régulier et plus agréable. Dites lui, je vous en supplie, monsieur, que je lui demande très sérieusement pardon de l'énormité de mon volume. J'ai sa gloire à cœur; il n'y en a point dans de trop gros livres. Je lui réponds d'être court et vrai. Je veux que les belles années de Louis XV se fassent lire comme le Siècle de Louis XIV; j'ai presque dit comme votre chronologie; et je souhaite qu'après ma mort mon nom puisse ne pas faire déshonneur à celui de m. d'Argenson, après l'avoir un peu ennuyé pendant ma vie. J'ai besoin à présent de votre indulgence et de la sienne; je vous la demande instamment; faites lui parvenir mes remords.

V.