[c. 10 March 1753]
J'espérais, monseigneur, vous faire ma cour aujourd'hui.
Mais m. le président Hénaut m'a dit que peut-être je ne pourrais jouir du bonheur de vous voir, et s'est chargé de vous remettre une lettre et un mémoire que La Beaumelle m'a envoyés remplis d'horreurs contre m. de Voltaire.
J'avoue, monseigneur, qu'il ne le traite guère mieux que les rois dans une édition du Qu'en dira-t-on?qu'il appelle ses Pensées, faite à Francfort. Il dit du roi de Pologne, père de mme la dauphine, page 302: J'ai vu à Dresde un roi imbécile, un ministre propre à ranger des magots, un héritier qui a des enfans et ne sauroit en faire…. Il vient de faire une édition du Siècle de Louis XIV de m. de Voltaire, avec des notes au bas des pages remplies de critiques qui n'ont ni sens ni raison, et d'injures violentes contre l'auteur…. Des gens qui les ont lues m'ont assuré que les notes de La Beaumelle traitent Louis XIV et Louis XV de tyrans, et que la maison d'Orléans y est insultée.
Je vous supplie, monseigneur, de considérer qu'il serait triste pour moi d'être en butte à un homme aussi fou que celui là. Je ne l'ai jamais vu, je n'ai jamais parlé de lui, je n'ai point publié ce mémoire dont il me parle; je ne suis ni roi, ni bel esprit. Que me veut il, et à quel propos vient il m'insulter?
Pardonnez moi ma faiblesse, monseigneur, je crains les fous. Mon sexe est timide avec raison. Que peut faire une femme qu'on insulte? Liez celui là de façon que je puisse m'en garantir, et permettez moi de vous dire qu'il m'est bien doux de vous avoir des obligations. Les sentiments que vous m'inspirez sont inexprimables. J'ai l'honneur d'être, etc.
Denis