Cirey, le 28 juin 1749
O gens profonds & délicats,
Lumières de l'Académie,
Chacun prend de vos almanachs.
Vous donnez des certificatsSur le beau temps & sur la pluie;
Mais il me faut un autre soin,
Et ma figure aurait besoin
D'un bon certificat de vie.
Chez vous tout brille, tout fleurit,
Tout vous y plaît; je dois le croire;
Je me doute bien qu'on chérit
Les climats dont on fait la gloire.
Vous, & Frédéric, votre appui,
Que j'appelle toujours grand homme,
Quand je ne parle pas à lui,
Ce roi, ce Trajan d'aujourd'hui,
Plus gai que le Trajan de Rome;
Ce roi dont je fus tant épris,
Et vous, très graves personnages,
Qui passez pour ses favoris,
Et pour heureux autant que sages;
Vous, dis je, & Frédéric le grand,
Vous, vos talents & son génie,
Vous feriez un pays charmant
Des glaces de la Laponie.
Vous auriez beau certifier
Qu'on voit mûrir dans vos contrées,
De Bacchus les grappes dorées,
Tout aussi bien que les lauriers;
De ma part je vous certifie
Que le devoir & l'amitié,
Qui, depuis vingt ans, m'ont lié,
Me retiennent près d'Emilie.
Cette Emilie incessamment
Doit accoucher d'un gros enfant
Et d'un bien plus gros commentaire;
Je veux voir cette double affaire;
Je les entends très faiblement:
Mais, messieurs, ne voit ont donc faire
Que les choses que l'on entend?
Vous m'avouerez, mon cher monsieur, que si vous avez eu quelques beaux jours au commencement de mai, vous avez payé depuis un peu cher cette faveur passagère. Mes plus beaux jours seront en automne. Je viendrai dans votre charmante cour, si je suis en vie: c'est un tour de force dans l'état où je suis; mais que ne fait on pas pour voir Frédéric le grand, & les hommes qu'il rassemble autour de lui!
Souvenez vous de moi dans votre royaume.
Voltaire