1742-09-03, de Voltaire [François Marie Arouet] à Roberto Ignazio Solaro di Breglio.

Ce fut madame le 23 du dernier mois que les trouppes enfermées dans Prague firent la plus vigoureuse sortie, ils comblèrent une partie de la tranchée, ils renversèrent des bateries, ils enclouèrent du canon.
Le combat dura une heure, on se batit de part et d'autre en désespérez. On dit le prince de Deux Ponts blessé à mort, le duc de Biron prisonier, un nombre à peu près égal de morts des deux côtez mais baucoup plus d'officiers français que d'autrichiens, par la raison qu'il y a toujours plus d'officiers dans nos troupes que chez les étrangers, et qu'ainsi nous jouons des pistoles contre de la monoye.

Après cette sanglante action il y eut une heure d'armistice pendant la quelle on agit et on se parla comme si tout le monde avoit été du même party. Les officiers français avouèrent aux autrichiens qu'ils espéroient que l'armée de secours arriveroit le 28 aoust, leurs généraux leur avoient donné cette espérance. Les assiégeans les détrompèrent et leur firent voir que cette armée ne pouvoit arriver qu'à la fin de septembre, mais nos trouppes loin d'en être découragées protestent qu'elles périront plutôt que de se rendre; jamais on n'a vu tant de zèle, et tant d'intrépidité, chaque soldat semble être responsable de la gloire de la nation; c'est une justice que leur rend le prince Charles.

J'ay mandé cette nouvelle à mr le président de Meiniere pour en orner le grand livre de madame Doublet mais j'ai oublié de luy dire que nous avons pris Monti, ingénieur en chef de l'armée autrichienne.

Puisse tant de courage être suivi d'une paix aussi promte qu'honorable! Il paroit que les Hollandois temporisent. Il y a icy dixhuit mille Anglais avec du canon, vingtdeux mille nationaux, et on attendoit il y a cinq jours Mr de Neiper avec la déclaration de leurs hautes et Lentes puissances. Seize mille Hanovriens devoient se joindre à touttes ces trouppes, et commencer les opérations vers Tionville. Tous ces projets paraissent suspendus.

Le roy de Prusse est à Aix la Chapelle où il fait semblant de consulter des charlatans et de boire des eaux. Il traitte les médecins comme les autres puissances. Je pars dans l'instant avec la permission du roy, pour aller faire un moment ma cour à ce prince. J'aimerois bien mieux partir pour venir manger la poule au ris; permettez moi madame de présenter mes respects à mr de Solare. Me Duch. va vous écrire.

J'ay écrit aux anges, le baccio i piedi.

V.