à la Haye ce 8 aoust 1743
J'ai reçu monseigneur la lettre dont vous m'avez honoré par la voye de Francfort, mais il n'y a plus moyen de vous écrire par L'Allemagne, à moins que je ne veuille aprendre aux houzards autrichiens combien je vous aime.
Daignez donc me donner vos ordres dans les paquets que vous adresserez à madame du Chastellet.
Les trouppes hollandaises ne pouront certainement joindre les alliez que le quinze ou le seize septembre. Il paroît cependant que le gouvernement anglais commence à faire réflexion que tout le fardeau de la guerre retombera sur luy, et qu'il se ruine dans l'idée chimérique de faire avoir à la reine de Hongrie un dédommagement aux dépends de la France. La moitié des provinces unies ont toujours des sentiments de paix, et je ne voudrois pas parier que les trouppes de la république n'eussent bientôt des ordres de ne point agir, pour peu que la France témoigne de vigueur et de bonne conduitte. Il y a grande aparence qu'on tirera de grands avantages de nos fautes passées. Dunquerque peut être rétabli pour n'être plus jamais détruit et la France en deux ou trois mois de temps peut devenir plus respectable que jamais. Il paroît que nous ne sommes pas extrêmement bien voulus dans les pays étrangers. Quand je dis nous, je dis notre puissance, car on aime les particuliers en haïssant la France. On nous traitte comme nous traittons les jésuites, on dit du mal du corps, et on est fort aise vivre avec les membres. On nous prie à souper et on chante pouille à notre ministère. On joue publiquement par permission du magistrat une comédie intitulée la présomption punie, dans la quelle la reine de Hongrie est représentée sous le nom de Mimi, le cardinal de Fleury sous celuy d'un vieux bailly impuissant qui, ne pouvant coucher avec Mimy, veut lui ôter toutte la succession de son père. Le prince Charles, sous le nom de Charlot, chasse le bailly et ses consorts, et voylà la présomption punie. On va voir de dix lieues cette mauvaise boufonerie qui se joue à Amsterdam. J'aime encor mieux cette farce que la tragédie de Dettingen. Cela ne casse ny bras ny tête. Conservez la vôtre monseigneur le duc et permettez que je fasse aussi des souhaits pour un individu fort aimable qui a grande obligation au vôtre. Soufrez que je vous prie de daigner faire souvenir de moy M. le duc de Duras in quo bene complacuisti. Si vous pouvez m'aprendre de bonnes nouvelles, si vous avez la bonté de me faire un tableau bien brillant de votre position, comptez que vous me ferez bien du plaisir. Vous savez avec quel tendre respect je vous suis attaché pour toute ma vie.