sur l'eau près d'Utrecht ce 23 aoust 1743
La Haye en Touraine est donc une ville célèbre! Savez vous mon cher et respectable amy, que votre lettre addressée à la Haye n'est pas venue d'abord en Hollande?
Je l'ay reçue avec ces belles paroles, inconnu à la Haye en Touraine, renvoyez à la Haye en Hollande. Oh bien il n'y aura plus de qui pro quo, me voicy sur le chemin de Berlin. Le roy de Prusse devoit aller à Spa, il devoit aller à Aix la Chapelle, il m'ordonne d'aller luy faire ma cour dans sa capitale, et peutêtre aprendrai-je en courant la poste, qu'il a changé d'avis, et il faudra courir en Franconie ou dans le haut Palatinat. Heureusement je ne crains point les houzards, en voiageant comme je fais avec des Allemans, et d'ailleurs je leur réciteray des vers pour la reine de Hongrie. Le fameux colonel Mentzel a commencé par être comédien. Je luy feray jouer Jules Cesar, puis qu'on ne le joue point à Paris. Ah plût à dieu que les dévots ne fussent pas plus à craindre que les houzards! Ayez pitié de moy saltem vos amici mei, écrivez moy un petit mot à Berlin. On dit que vous n'avez pas trop bien vendu votre charge. On n'achète chèrement dans ce temps cy que des malheurs. Daignez me mander ce que devient ce pays fait pour être aimable, y est on bien fou? y a t'on de la crainte, de l'espérance, ou plutôt Paris ne s'occupe t'il pas plus d'une danseuse que de ce qui se passe sur le Rhin? Cela n'est peutêtre pas si fou. Les véritables fous en vérité sont ceux qui font tuer les hommes, et je mets encor de ce nombre ceux qui voiagent en Prusse pouvant être à Paris, mais puisque ces fous là sont les plus malheureux, dites leur des choses bien consolantes, daignez les éguaier par des nouvelles. Ayez la bonté de présenter leurs respects à vos parents et amis. Bonsoir mes anges. J'enrage du meilleur de mon cœur. Adieu les plus aimables personnes du monde.
V.