1743-07-23, de Voltaire [François Marie Arouet] à Frederick II, king of Prussia.
Ce joyeau que par dessus tous
Je verray, (sans m'en faire acroire),
Ce joyau dont je suis jaloux,
Ce bau joyau c'est votre histoire,
Où vous daignez de tant de fous
Immortalizer la mémoire,
Ce sont là les nobles bijous
Dont peu de rois auront la gloire
De se parer ainsi que vous.
Je verrai ces pinceaux sublimes
Faits pour tracer des véritez,
Ces pinceaux par qui tant de crimes
Et si peu d'exploits légitimes,
Seront si bien représentez.
Je verray cette main savante
Me tracer les ressorts divers
De la scène toujours mouvante
De ce méprisable univers.
Je verray la foule des princes
De crainte et d'espoir agitez
Faisant et rompant des traittez,
Gagnant et perdant des provinces.
Je verray nos français hardis,
Qui vont d'une course si prompte
Subjuguer Prague en étourdis,
Pour s'en retourner avec honte.
Je verray quelle sage audace
Guidoit au milieu des hivers,
Un héros qui faisoit des vers,
Malgré les combats et la glace,
Et par quel excez de vertu
Mon prince a de sa main guerrière,
Battu cette Autriche si fière
Par qui Broglie est tant battu.

Je vis donc dans l'espérance que votre majesté aportera à Aix la Chapelle ses commentaires de Cesar; et je me flatte qu'il y aura mis un peu plus de particularitez que Cesar n'en a mis dans les siens. Après cette belle tragédie, nous aurons sire la farce de Jeanne dont j'ay volé quelques feuilles à cette gardienne sévère que j'ay laissée à Paris. Ce sera voir Giles après Baron. Pareille chose à peu près m'est arrivée aujourduy. J'ay vu partir à cinq heures du matin les gardes de leurs hautes puissances, j'avois vu il y a quelques années ceux de votre vraye puissance. Les premiers sont un peu Giles en comparaison de ceux de votre majesté. Ils se tiennent assez mal sur d'assez mauvais chevaux. Revenez sire sur Pegaze, venez oublier quelque temps à Aix la Chapelle dans le sein des muses les soins pénibles de la royauté.

J'ay bien des choses à dire à votre majesté. Je mettray mon cœur à vos pieds, elle verra s'il est possible que je passe ma vie auprès d'elle. Elle sera l'arbitre de ma destinée.

Bâtissez des forteresses et des villes, revenez boire l'immortalité à Aix la Chapelle. Ah si vous pouviez m'y honorer d'un petit portrait qui vous ressemblât comme deux gouttes d'eau? ne l'oubliez pas je vous en conjure mon adorable souverain!

V.