à Ferney 21 novb 1770
Sire,
Votre majesté peut être ciron ou mite en comparaison de l’éternel architecte des mondes et même des divinitéz inférieures qu’on suppose avoir été instituées par lui et dont on ne peut démontrer L’impossibilité, mais en comparaison de nous autres chétifs vous avez été souvent aigle, lyon et cigne.
Vous n’êtes pas àprésent le rat retiré dans un fromage de Hollande qui ferme sa porte aux autres rats indigens, vous donnés l’hospitalité aux pauvres familles polonaises persécutées, vous devez vous connaître plus qu’aucune mite de l’univers en toutte espèce de gloire, mais celle dont vous vous couvrez àprésent en vaut bien une autre.
Il est bien vray que la plus part des hommes se ressemblent, sinon en talens, du moins en vices, quoy qu’après tout il y ait une grande différence entre Pitagore, et un Suisse des petits cantons ivre de mauvais vin. Pour le gouvernement polonais, il ne ressemble à rien de ce qu’on voit ailleurs.
Le prince de Brunsvik était donc aussi des vôtres, il fesait donc des vers comme vous et le Roi de la Chine. Votre majesté peut juger si je le regrete.
J’ay autant de peur que vous, qu’il ne sache rien du grand secret de la nature tout mort qu’il est. Votre abominable homme qui est si sûr que tout meurt avec nous pourait bien avoir raison ainsi que l’auteur de l’Eclesiaste attribué à Salomon qui prêche cette opinion en vingt endroits, ainsi que Cesar et Ciceron qui le déclarent en plein sénat, ainsi que l’auteur de la Troade qui le disait sur le téâtre à quarante ou cinquante mille Romains, ainsi que le pensent tant de méchantes gens aujourdui, ainsi qu’on semble le prouver quand on dort d’un profond sommeil ou quand on tombe en létargie.
Je ne sçais pas ce que pense Moustapha sur cette affaire, je pense qu’il ne pense pas et qu’il vit à la façon de quelques Moustaphas de son espèce. Pour L’impératrice de Russie, et la reine de Suede votre sœur, le Roi de Pologne, le prince Gustave etc. j’imagine que je sçais ce qu’ils pensent. Vous m’avez flatté aussi que L’empereur était dans la voye de la perdition. Voylà une bonne recrue pour la philosophie. C’est dommage que bientôt il n’y ait plus d’enfer ni de paradis. C’était un objet intéressant. Bientôt on sera réduit à aimer dieu pour luy même sans crainte et sans espérance, comme on aime une vérité mathématique, mais cet amour là n’est pas de la plus grande véhémence. On aime froidement la vérité. Au surplus votre abominable homme n’a point de démonstration, il n’a que les plus extrêmes probabilités. Il faudrait consulter Ganganelli. On dit qu’il est bon théologien. Si cela est les apparences sont qu’il n’est pas un parfait chrétien. Mais le madré ne dira pas son secret. Il fait son pot à part, comme le disait le marquis Dargenson d’un des Rois de l’Europe.
S’il n’y a rien de démontré qu’en mathématique soyez bien persuadé sire que de touttes les vérités probables la plus sûr est que votre gloire ira à L’immortalité et que mon respectueux attachement pour vous ne finira que quand mon pauvre et chétif être subira la loy qui attend les plus grands rois comme les plus petits Welches.