Compienne Août 2 1753
Sire,
Voltaire, me semble, devient fol à lier; il a écrit une impertinente et sotte lettreà sa nièce, et dont elle a laissé prendre copie.
Entre autres choses il appelle au cheval de Bronze pour certifier qu'il est bon François. On se moque de lui par tout, mais on plant Me Denis. Je vous envoye Sire une lettre que je viens de recevoir d'elle; elle tâche de s'excuser et son oncle le moins mal qu'elle peut, et en cela Votre Majesté la jugera pardonable.
La réponse à Voltaire de Vienne est bonne, et le coup de patte du Prince qui lui a refusé la pension est bien appliqué. Je crois que selon sa façon [de] penser il faudroit être bon arithméticien pour calculer combien des vers il faudroit pour faire la somme totale de 800 livres Sterling.
Le Prince de Conti est ici, il travaille avec le Roy, on ne doute pas que ce soit sur l'affaire du Parlement; et puisque le tems a calmé la première vivacité, il y a espérance qu'on trouvera un accomodement, malgré les efforts du clergé.
Il y a ici un occuliste qui a trouvé une façon bien meilleure que l'ancienne à lever les cataractes des yeux. On a proposé au Président Montesquieu, déjà borgne et menacé de devenir aveugle, de se faire lever les cataractes, il a répondu froidement, que la vue est une affaire de cent pistoles, puisque pour cet argent on peut avoir un Lecteur. C'est un philosophe, ce me semble, beaucoup trop philosophe. Pardon Sire, de mes impertinences, et que j'occupe un moment de trop votre tems précieux, employé peutêtre dans le moment que vous recevez celleci à donner des bones loix à vos sujets et un exemple au Princes de la terre. J'ay l'honeur d'être avec le plus profond respect.
Sire,
de Votre Majesté,
le très humble, très obéissant et très fidel serviteur
le Maréchal d'Ecosse