Paris 2e juillet 1753
Sire,
Je remercie très humblemt Votre Majesté de la bone opinion dont elle m'honore, je tâcheray de ne me pas gâter par vos bontés ni me laisser m'oublier, come il est arrivé à plus d'un à qui vous avez fait tourner la tête en les traitant trop bien.
Il n'y a que sur cet article que je suis en garde contre Votre Majesté. Votre lettre du 16 m'est venu à propos; où il clabaude sur la prise de Me Denis, qu'on prétend a été menée à pied par les rues escortée par douze soldats à une auberge où elle a des sentinelles à sa porte et un commissaire qui couche dans sa chambre. Comme Votre Majesté ne parle pas d'elle, ni que Voltaire fût arrêté prisonnier, j'ay dit à ceux qui m'en ont parlé ce que Votre Majesté m'écrit du 16; et que si réellement il y a eu quelque irrégularité, il faut qu'il soit venu d'un mésentendu de Mr Freydag: Que c'étoit naturel à croire que Votre Majesté auroit ordonné à Mr Freydag de ne pas laisser partir Voltaire sans avoir rendu le livre, que Me Denis étant dans le même cas pour l'engagement, puisque son oncle disoit le lui avoir donné et qu'elle ne le nia pas, il l'auroit voulu s'assurer d'elle jusqu'à ce qu'elle l'auroit rendu. Elle écrit qu'on demande cent vint écus par jours pour ses gardes, à quoy j'ay répondu, qu'on pouvoit voir clairement par là que Votre Majesté ne savait rien de tout cela, puisqu'on ne vous soubsonneroit pas d'entrer dans ses détailles; que si c'étoit vray, les archers de Frankfort exerçoient leur métier de fripons comme par tout. Je suis très fâché, Sire, d'être obligé de vous parler encore de ce fol de poète et que cette tracasserie vous ait jamais pris un moment de votre tems que vous savez si bien employer. La Denis va revenir, je conte qu'elle va clabauder comme un diable, et que j'auray bataille avec elle. Elle aime son oncle et lui a des grandes obligations, elle est femme et irritée: j'ai écrit à Votre Majesté qu'elle étoit bone, je crains que je ne sois obligé de tâcher de me tirer d'affaire en disant selon le Moyen de Parvenir, toutes les femmes sont bones; si elles ne sont pas bones à Dieu, elles sont bones au Diable.
Je suis très aise que M. de Froulay est si fort goûté à votre Cour; il est home de bien, très considéré de tout le monde ici, et particulièrement de S. M. T. C. Votre Majesté, j'espère, en sera content quand elle l'aura vu. J'ay admiré la justesse des caractères des trois autres, dont vous avez fait les portraits en peu de traits et bien ressemblants. J'ay l'honeur d'être avec le plus profond respect,
Sire,
de Votre Majesté,
le très humble très obéissant et très fidel serviteur
le Maréchal d'Ecosse