1753-05-01, de George Keith, 10th Earl Marischal à Frederick II, king of Prussia.

Sire je tâcheray d'obéyir de mon mieux les ordres dont vous m'honorez.
J'ay déjà parlé à Me Denis, je luy ay demandé le [contrat] d'engagement, elle m'a dit qu'elle l'avoit donné à M. D'Argental, qu'elle le demanderoit à lui et me le donneroit.

Elle a parlé si honêtement et si respectueusement envers V. M. et convient franchement que son oncle est un fol, que je ne puis pas douter un moment qu'elle ne soit de bone foye, et qu'elle ne vous rendra l'engagement. Je lui ay mis devant les yeux le tort que M. de Voltaire se feroit s'il manquoit du respect vers V. M., combien ses nombreux ennemis en profiteroit pour le dénigrer, et j'ay cru qu'il seroit bon d'user, mais de loin, d'un autre argument pour son oncle et pour elle par l'amitié qu'elle a pour lui, que les Rois ont les bras longs. J'ay tempéré cette menace par le caractère de V. M. qui n'avez jamais rien fait de vindicatif, ce qui est vray; mais que son oncle étant étourdi et colère comme un dindon s'il lâchoit des libelles contre V. M. vous pourriez aussi vous mettre en colère, et que quatre grenadiers Prussiens suffiroient pour enlever son oncle nonobstant tout privilège de la foire; je lui ay fait peur, je l'ay adouci tour à tour (car je lui parlois comme ami, et je le suis de la Denis), je lui ay dit, que si son oncle au lieu de vous manquer du respect en montroit comme il vous étoit dû, faisoit voir à toute la terre qu'il regrettoit de vous avoir déplu, vous vous adouceriez peu à peu. Je suis sure que Me Denis ne négligera rien pour contenir son oncle dans le devoir; et il me semble que ce seroit le mieux s'il fut possible. Je pense faire sentir à d'Argenson et à ami de Voltaire qu'il est de l'intérest de Voltaire de se conduire avec prudence, ou au moins que la crainte supleà cette qualité qui lui manque, pour prévenir ses satires et calomnies, sur v. m. ou sur le pays. La Beaumele est à la Bastille mais les méchancetés qu'il a écrit contre v. m. sont entre les mains des gens. Pour ce qu'il pourroit écrire contre M. de Maupertuis cela n'est que querelle d'auteur, et le publique s'en divertira d'autant plus que M. de Maupertuis a quasi autant d'ennemis à Paris qu'a Voltaire.

V. M. m'ordonne de dire que vous avez été obligé de chasser Voltaire à cause de ses friponneries et méchancetés. Ne pourrois je pas changer la phrase et dire que V. M. avoit eu de la répugnance à chasser quelcun que vous aviez fait venir auprés de vous, mais que vous étiez bien aise d'être quite d'un fol? puisque c'est Voltaire qui a demandé à se retirer, car on comprend bien que la permission d'aller aux eaux étoit un prétexte pour se retirer. Pardon Sire si je semble vous donner des conseills, je ne prétends pas à cet droit, ni n'en ay les talents, mais quand vous me faites l'honeur de me parler de quelque chose, c'est mon devoir de vous dire au vray ce que j'en pense. Un particulier peut se faire tort à soy même dans l'esprit du Prince en disant ce qui lui paroit vray (probatum est, je n'entens pas ceci de V. M.) mais il ne fera jamais mal au Prince.