[30 June 1742]
Sire,
J'ai reçu des vers, et de très jolis vers, de mon adorable roi, dans Le temps que nous pensions que v.m.ne songeoit qu'à délivrer d'inquiétude Le maa͞l de Broglie, votre ancien ami de Strasbourg.
V.m.a glissé dans sa Lettre l'agréable mot de paix, ce mot qui est si harmonieux à mon oreille.
Voici une Ode que je Barbouillois contre tous vous autres monarques qui sembliés alors acharnés à détruire mes confrères Les humains. Le saigneur des nations, Frédéric III, Frédéric le grand, a exaucé mes vœux, et à peine mon ode, bonne ou mauvaise, étoit faite, que j'ai appris que v.m. avoit fait un très bon traitté, très bon pour vous sans doubte, car vous avés formé votre esprit vertueux à être grand politique. Mais si ce traitté est bon pour nous autres François, c'est ce dont on doute dans Paris. La moitié du monde crie que vous abandonnés nos gens à La discrétion du dieu des armées; l'autre moitié crie aussi, et ne sçait ce dont il s'agit. Quelques abbés de S. Pierre vous bénissent au milieu de la criaillerie. Je suis un de ces philosophes, je crois que vous forcerés touttes les puissances à faire la paix, et que le héros du siècle sera Le pacificateur de L'Allemagne et de L'Europe. J'estime que vous avés gagné de vitesse le bon vieillard
Achille étoit plus habile que Nestor, heureuse habileté, si elle contribue au bonheur du monde.
Voici donc le temps où v.m. pourra amuser cette grande âme pétrie de tant de qualités contraires. Soiés sûr, sire, qu'avant qu'il soit un mois j'irai chercher moi même à Bruxelles les papiers, que vous daignés honorer d'un peu de curiosité, ou que je les ferai venir. Il y a de petites choses qu'un petit citoien ne peut faire que difficilement, tandis que Frédéric le grand en fait de si grandes en un moment.
Vous n'êtes donc plus notre allié, sire? mais vous serés celui du genre humain; vous voudrés que chacun jouisse de ses droits, et de son héritage, et qu'il n'y ait point de troubles. Ce sera la pierre philosophale de la politique, elle doit sortir de vos fourneaux. Dites: Je veux qu'on soit heureux, et on le sera. Aiés un bon opéra, une bonne comédie, et puissai-je être témoin à Berlin de vos plaisirs, et de votre gloire!