1751-02-27, de Voltaire [François Marie Arouet] à Frederick II, king of Prussia.

Sire,

Touttes choses mûrement considérées, j'ay fait une lourde faute d'avoir un procez contre un juif, et j'en demande bien pardon à votre majesté, à votre philosofie et à votre bonté.
J'étois piqué, j'avois la rage de prouver que j'avois été trompé. Je l'ay prouvé, et après avoir gagné ce malheureux procez, j'ay donné à ce maudit hébreu plus que je ne luy avois offert d'abord, pour reprendre ses maudits diamants qui ne conviennent point à un homme de lettres. Tout cela n'empêche pas que je vous aye consacré ma vie. Faittes de moy tout ce qu'il vous plaira. J'avois mandé à s. A. R. madame la markgrave de Bareith que frère Voltaire étoit en pénitence. Ayez pitié de frère Voltaire. Il n'attend que le moment de s'aller fourer dans la cellule du marquisat. Comptez sire que frère Voltaire est un bon homme, qu'il n'est mal avec personne, et surtout qu'il prend la liberté d'aimer votre majesté de tout son cœur. Et à qui montrerez vous les fruits de votre beau génie si ce n'est à votre ancien admirateur? Il n'a plus de talent mais il a du goust, il sent vivement, et votre imagination est faitte pour son âme. Il est tout pétri de faiblesse, mais assurément sa plus grande est pour vous. Il n'est point intéressé comme on vous l'a dit et il ne cherche dans votre majesté que vous même. Il est bien malade, mais vos bontez lui rendront peutêtre la santé. En un mot sa vie est entre vos mains

V.

J'aprends que votre majesté me permet de m'établir pour ce printemps au marquisat. Je luy en rends les plus humbles grâces. Elle fait la consolation de ma vie.