1775-02-08, de Voltaire [François Marie Arouet] à Frederick II, king of Prussia.

Sire, je reçois dans ce moment le buste de ce vieillard en porcelaine.
Je m'écrie en voiant l'inscription dont je suis si indigne,

Les rois de France et d'Angleterre
Peuvent de rubans bleus parer leurs courtisans;
Mais il est un Roi sur la terre
Qui fait de plus nobles présents.
C'est ce charmant héros dont la main souveraine
Me donne l'immortalité.
Vous m'acordez grand homme avec trop de bonté
Des terres dans votre domaine.

Apropos d'immortalité on vient de faire une magnifique édition de la vie d'un de vos admirateurs qui a marché dans une partie de cette carrière de la gloire que vous avez parcourue dans tous les sens. Il y a un volume tout entier de plans de batailles, de campements, de marche, et de touttes les actions où il s'était trouvé dès l'âge de douze ans. Ces Cartes sont très fidèles et très bien dessinées, quoy qu'en qualité de poltron je déteste cordialement la guerre, cependant j'avoue à votre majesté que je désirerais avec passion que votre majesté permît de dessiner vos batailles. J'ose vous dire que personne n'y serait plus propre que Detalonde Morival. C'est une chose étonnante que la célérité, la précision et la bonté de ses desseins. Il semble qu'il ait été vingt ans ingénieur.

Puisque j'ay commencé sire à vous parler de lui, je continuerai à prendre cette liberté. Mon cœur est pénétré des bontez dont vous l'honorés. Le moment aproche où il espère s'en servir. Mais aussi le congé que votre majesté lui acordé, va expirer au mois de mars. Il abandonera sans doute touttes ses espérances pour voler à son devoir. C'est son dessein. Je vous implore pour lui et malgré lui. Acordez nous encor six mois. Je n'ose renouveller ma prière de l'honorer du titre de votre ingénieur et de lieutenant ou de capitaine. Tout ce que je sçais c'est qu'une victime des prêtres peut être immolée, et qu'un homme à vous sera respecté. Vous ne vous bornez pas à donner l'immortalité, vous donnez des sauvegardes dans cette vie. Je passerai le reste de la mienne à remercier, à relire Marc-Aurèle-Julien Federic, héros de la guerre et de la philosofie.

Le vieux malade de Ferney