21e juin 1775
Sire,
Tandis que votre majesté fait probablement manœuvrer trente ou quarante mille guerriers, je crois ne pouvoir mieux prendre mon temps pour lui présenter la bataille de Rosbac dessinée par d'Etalonde.
Il brûle d'envie de se trouver à une pareille bataille. La bonté extrême que vous avez eue de nous envoier la consultation de vos premiers magistrats ne lui laisse d'autre idée que de verser son sang pour votre service; la reconnaissance qu'il vous doit, et l'honneur d'être au nombre de vos officiers, l'emporte sur tous les autres projets. Il ne veut plus aucune grâce en France. Il en était déjà bien dégoûté, vos dernières bontez ferment son cœur à tout autre objet que celui de mourir prussien. Il voudrait au moins paraître parmi les braves gens dont votre majesté fait des revues. On lui a dit que son régiment pourait bien faire l'exercice en votre présence cette année. A cette nouvelle je crois voir un amant à qui sa maîtresse a donné un rendez vous. Il ne me parle que de son départ, je ne puis le retenir. J'ay beau lui dire qu'il n'a point reçu d'ordre, et qu'il faut attendre. Il dit qu'il n'attendra rien. Je ne suis pas fait pour contredire les grandes passions, et surtout une passion si belle. S'il retourne à Vezel dans quelques jours, il ne me reste sire qu'à me jetter à vos pieds du fond de ma retraite et du bord de mon tombeau, à remercier votre majesté de ce qu'elle a daigné faire pour lui, et à me flatter qu'elle voudra bien l'honorer des emplois dont elle le croira digne. Il n'y a qu'un héros philosophe qui puisse être servi par un tel officier.
Ma lettre arrivera peut être mal à propos au milieu de vos immenses occupations, mais les plus petites affaires vous sont présentes comme les grandes. M. de Catinat disait que son héros était celui qui jouerait une partie de quilles au sortir d'une bataille gagnée ou perdue. Vous ne jouez point aux quilles. Vous faites des vers un jour de bataille, vous prenez votre flûte lorsque vos tambours battent aux champs. Vous daignez m'écrire des choses charmantes en fesant une promotion d'officiers généraux. Je vous admire de touttes les façons, et en vous admirant j'attends tout de votre grand cœur.
On mande que le sacre du Roi très chrétien n'a pas été aussi brillant que l'espéraient les Français acoutumés à la magie de Servandoni et à la musique de Gluk. C'est un spectacle bien étrange que ce sacre. On fait coucher tout de son long un pauvre roi en chemise devant des prêtres, qui lui font jurer de maintenir tous les droits de l'église et on ne lui permet d'être vêtu que lors qu'il a fait son serment. Il y a des gens qui prétendent que c'est aux rois à se faire prêter serment par les prêtres. Il me semble que Federic le grand en use ainsi en Silesie, et dans la Prusse occidentale.
Je fais serment sire devant votre portrait que mon cœur sera votre sujet tant que j'aurai un reste de vie.