1741-01-28, de Voltaire [François Marie Arouet] à Frederick II, king of Prussia.

Mr de Keizerling
et un questionneur.

Le questionneur

Aimable adjudant d'un grand Roy,
Et du dieu de la poésie,
Sur mon héros instruisez moy.
Que fait il dans la Silésie?

Keiz.

Il fait tout; il se fait aimer.

le quest.

En deux mots c'est baucoup m'aprendre,
Mais ne pouriez vous point étendre
Un détail qui me doit charmer?
Je sçai que pour bien peindre un sage
Un trait de vos crayons suffit.
Un mot est assez pour l'Esprit
Mais Le cœur en veut davantage.

Keiz.

Sachez donc que notre héros
Dont la peau douce et très frilleuse,
Sembloit faitte pour le repos,
Affronta la glace et les eaux
Dans la saison la plus affreuse.
Sa politique imagina
Un projet belliqueux et sage,
Que personne ne devina.
L'activité le prépara
Et la guaité fut du voiage.
La fière Autriche en murmura,
Le conseil aulique cria,
Dépêcha plus d'une estafette,
Plus d'une lettre barbouilla,
Et dit que ce voiage là
Etait contraire à l'Etiquette.
Cependant Federic parut,
Dans la Silesie étonnée.
Vers luy tout un peuple acourut
En bénissant sa destinée.
Il prit les filles par la main,
Il caressa le citadin,
Il flatta la sottise altière
De celuy qui dans sa chaumière
Se dit issu de Vitikin.
Aux huguenots il fit acroire
Qu'il étoit bon lutérien.
Au papiste, à l'ignatien
Il dit qu'un jour il pouroit bien
Leur faire en secret quelque bien
Et croire même au purgatoire.
Il dit et chaque citoyen
A sa santé s'en alla boire.
Ils crioient tous à haute voix,
Vivons et buvons sous ses loix.
Mais tandis qu'on tient ce langage
Que de fleurs on couvre ses pas,
Il part et son brillant courage
Appelle déjà les combats.
Va donc préparer ta trompette,
Et tes lauriers et tes crayons,
Un héros exige un poète,
Des exploits veulent des chansons.
Célèbre ce héros qu'on aime,
Fais des vers dignes de mon roy.

le Quest.

Pardieu, qu'il fasse luy même,
Il sait les faire mieux que moy.

J'avoue sire que j'attends un huitain du vainqueur de la Silésie. J'aime à voir mon héros toucher aux deux extrémitez à la fois.

Apeine fus je arrivé à Bruxelles que j'allay à Lille avec madame du Chastelet. J'y vis un opéra français assez passable mais qui ne seroit point du tout passable pour votre majesté. Elle remarquera seulement si une nation qui a des opéra dans ses places frontières n'est pas faitte pour la joye.

J'y vis aussi la comédie de la Noue à laquelle il comptoit baucoup réformer et ajouter pour la rendre digne de divertir un connaisseur tel que mon Roy.

Si après avoir donné des loix à L'Allemagne, votre majesté veut quelque jour se réjouir à Berlin (ce qui n'est pas un mauvais party), qu'elle remercie la petite Gautier. Pourquoy en remercier la petite Gautier? me dira votre majesté? Voici le fait sire, c'est que la Noue aimoit cette Gautier de tout son cœur. Elle veut rester en France, ainsi la Noue, comme de raison, ne vouloit pas quitter sa maitresse, tant qu'elle a été, ou qu'elle luy a paru fidèle; mais depuis qu'il l'a reconnue très infidèle, votre majesté peut se flatter d'avoir la Noue.

Je crois devoir envoyer les mémoires et les lettres que je reçus de la Noue lors que je luy écrivis par ordre de votre majesté; elle verra (si elle veut s'en donner la peine) qu'il demandoit d'abord quarante mille écus. Ensuitte par sa lettre du 23 octobre, il ne veut pas s'engager. Mais le 28 octobre il s'engagea pour ce qu'il fut quitté de sa donzelle du 23 au 28 octobre.

A présent sire cet amant malheureux attend vos derniers ordres pour fournir ou ne fournir pas Baladins et baladines pour les plaisirs de Berlin. Il presse baucoup, et demande des ordres positifs à cause des frais qu'un délay entraineroit.

J'envoye à votre majesté une lettre plus digne d'arrêter son attention; elle est du président Henaut, l'homme de France qui a le plus de goust, et de discernement, et mériteroit d'être lue de votre majesté, quand même il n'y seroit pas question d'elle.

Puis que je prends la liberté d'envoyer tant de manuscripts que votre majesté me permette de luy faire aussi une lettre de madame du Chastelet que je reçus de la Haye; il y a des choses qui peutêtre méritent d'être sçues de V. majesté. Il court à Paris baucoup de satires en vers et en prose sur l'expédition de la Silesie. On y fait l'honneur à quelques uns de vos serviteurs de leur lâcher quelque lardon quoy qu'ils n'aient, me semble, aucune part en cette affaire. Mais

Mon roy protégera L'empire,
Et sera l'arbitre du nord,
Et qui saura braver la mort
Sait aussi braver la satire.

Sire

de votre majesté

le très humble, très obéissant etc. serviteur

V.

Oserai-je suplier votre majesté de me faire envoyer un exemplaire du manifeste imprimé de ses droits sur la Silesie?