[c. 25 August 1752]
Sire,
Vos réflexions valent bien mieux que mon ouvrage.
J'ay eu bien raison de dire quelque part que vous étiez le meilleur logicien que j'aye jamais entendu. Vous m'épouvantez. J'ay bien peur pour le genre humain et pour moy que vous n'ayez tristement raison. Il serait affreux pourtant qu'on ne pût pas se tirer de là. Tâchez sire de n'avoir pas tant raison, car encor faut il bien, quand vous faites de Potsdam un paradis terrestre, que ce monde cy ne soit pas absolument un enfer. Un peu d'illusion, je vous en conjure, daignez m'aider à me tromper honnêtement.
Au bout du compte, les sottises crétiennes sont traittées icy comme elles le méritent, mais j'ay enfoncé le poignard avec respect. Le véritable but de cet ouvrage est la tolérance, et votre exemple à suivre. La relligion naturelle est le prétexte, et quand cette relligion naturelle se bornera à être bon père, bon amy, bon voisin il n'y aura pas grand mal.
Je me doute bien que L'article des remords est un peu problématique, mais encor vaut il mieux dire avec Ciceron, Platon, Marc Aurele, etc. que la nature nous donne des remords, que de dire avec la Métrie qu'il n'en faut point avoir.
Je conçois très bien qu'Alexandre nommé général des grecs n'ait point eu plus de scrupule d'avoir tué des persans à Arbelles, que votre majesté n'en a eu d'avoir envoyé quelques impertinents autrichiens dans l'autre monde. Alexandre faisait son devoir en tuant des persans à la guerre, mais certainement il ne le faisait pas en assassinant son amy après soupé.
Au reste il s'en faut baucoup que l'ouvrage soit achevé. Je profite déjà des remarques dont vous daignez m'honorer. Je supplierai votre majesté de vouloir bien me le renvoyer avant qu'elle parte pour la Silésie. Il est difficile de définir la vertu, mais vous la faittes bien sentir. Vous en avez, donc elle existe. Or ce n'est pas la relligion qui vous la donne, donc vous la tenez de la nature, comme vous tenez d'elle votre rare esprit qui suffit à tout, et devant le quel mon âme se prosterne.
V.
Je remercie votre majesté autant que je L'admire.