à Potsdam, 5 septembre [1752]
Sire,
Votre pédant en points et en virgules, et votre disciple en philosofie et en morale, a profité de vos leçons, et met à vos pieds la relligion naturelle, la seule digne d'un être pensant.
Vous trouverez l'ouvrage plus fort, et plus selon vos vues. J'ay suivi vos conseils, il en faut à qui conque écrit. Heureux qui peut en avoir de tels que les vôtres!
Si vos bataillons et vos escadrons vous laissent quelque loisir, je supplie votre majesté de daigner lire avec attention cet ouvrage qui est en partie l'exposition de vos idées, et en partie celle des exemples que vous donnez au monde. Il serait à souhaitter que ces opinions se répandissent de plus en plus sur la terre. Mais combien d'hommes ne méritent pas d'être éclairez!
Je joints à ce paquet ce qu'on vient d'imprimer en Hollande. Votre majesté sera peutêtre bien aise de relire L'éloge de la Métrie. Cet éloge est plus philosophique que tout ce que ce fou de philosophe avait jamais écrit. Les grâces et la légèreté du stile de cet éloge y parent continuellement la raison. Il n'en est pas de même de la pesante lettre de Haller, qui a la sottise de prendre sérieusement une plaisanterie. La réponse grave de Maupertuis, n'était pas ce qu'il fallait. C'était bien le cas d'imiter Suift, qui persuadait à l'astrologue Partrige qu'il était mort. Persuader à un vieux médecin qu'il avait fait des leçons au bordel eût été une plaisanterie à faire mourir de rire.
Nous attendrons tranquilement votre majesté à Potsdam. Qu'irais-je faire à Berlin? Ce n'est pas pour Berlin que je suis venu quoyque ce soit une fort belle ville, c'est uniquement pour vous. Je soufre mes maux aussi guaiment que je peux. Dargens s'amuse et engraisse. Arius de Prade est un très aimable hérésiarque. Nous vivons ensemble en louant dieu et votre majesté, et en siflant la Sorbonne. Nous avons de beaux projets pour l'avancement de la raison humaine. Mais un plus beau projet, c'est Gustave Vaza. Il n'y a pas moyen d'y penser en Silésie, mais je me flatte qu'à Potsdam vous ne résisterez pas à la grâce efficace qui vous a inspiré ce bon mouvement. Ce sujet est admirable et digne de votre génie unique et universel.
V.
Je me mets à vos pieds.