1752-09-16, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louise Marie Madeleine Dupin.

J'ay eu le bonheur madame de passer trois jours avec monsieur de Villeneuve dans ma retraitte de Potsdam.
Le roy n'y était point. Il était en Silésie entouré d'escadrons et de bataillons, et monsieur de Villeneuve au lieu de voir la cour d'un monarque à Potsdam n'y a vu qu'une solitude de philosofes. Il me parait également fait pour les philosofes et pour les rois. Je ne suis pas surpris que tout ce qui vous apartient soit aimable mais je le suis d'avoir vu dans monsieur votre neveu un jeune homme si supérieur à son âge. Si on ne nous envoyait que de tels voiageurs notre nation y gagnerait beaucoup.

Je suis fâché actuellement madame que les premières éditions du siècle aient paru. Ce n'était qu'un ouvrage informe. Il en paraitra incessament une édition augmentée du tiers, bien plus intéressante, et remplie d'anecdotes curieuses qu'on m'a fournies. Je souhaitte qu'elles vous fassent quelque plaisir, mais vous en aurez moins certainement à les lire que je n'en aurais à vous voir et à vous entendre. C'est un bonheur dont je me flatte de mois en mois, et qu'il m'a fallu toujours différer. J'ay bien peur qu'à la fin les maladies dont je suis accablé ne me rendent tout à fait incapable de vivre auprès du roy de Prusse et auprès de vous. Je sens que mon état m'obligera bientôt de renoncer à toutte société, mais je regretterai toujours la vôtre. Permettez que je renouvelle icy à Monsieur du Pin, à monsieur votre fils et à toute votre famille les assurances de mon attachement. J'ay l'honneur d'être madame avec des sentiments qui ne s'effaceront jamais,

votre très humble et très obéisst serviteur

Voltaire