1771-01-31, de Voltaire [François Marie Arouet] à Gabriel Cramer.

Mon neveu d'Hornoy est dans un village submergé appellé Sancoins, à six lieues de Nevers, entouré de canards et d'oyes qui nazillent les louanges du chancelier.
Chaque conseiller est dans un village où il se forme à l'agriculture. Le 1er présidt est à Corbeil qui est vraiment une ville. Les charges sont confisquées au profit du seigneur Roi. On était consterné dans Paris à Midy; on dansait à 8 heures du soir.

Si j'étais à la place de Monsieur Cramer, je sais bien que je donnenerais au public mon 4e volume àprésent. Je sais surtout que je me presserais d'imprimer les autres, parce que l'auteur âgé de 77 ans pourait me faire faux-bon d'un jour à l'autre; et qu'alors je ne trouverais que des papiers informes dont je ne pourais rien faire.

Si Monsieur Gabriel avait voulu imprimer cet ouvrage au lieu de perdre son tems et son papier à faire deux volumes d'abominables rogatons, il en aurait recueilli plus d'avantage.

Il est encor prié de considérer que ces sortes de dictionaires se vendent toujours très aisément volume à volume, et très difficilement trois ou quatre volumes à la fois.

Je l'embrasse de tout mon cœur, et le félicite d'être nez dans un païs où l'on n'envoie personne à Sancoins.

Mes respects à Madame Cramer.

Voicy économie: Vous verrez comment on peut vivre splendidement avec douze mille livres de rente.

Tâchez donc de presser le gros Suisse, et ne quittez point cet ouvrage pour des choses aussi insipides que vos deux derniers tomes des mélanges

Vous demandez un nouveau chapitre du Parlement. Sans doute il en faut un; mais il faut attendre la fin de la catastrophe commencée.

Si vous envoiez des livres à Paris ou ailleurs, je ne conçois pas comment vous n'y mettez pas le 4e tome. Je conçois encor moins comment vous êtes une année à en imprimer trois, tandis qu'on dit que ces trois sont imprimés en trois semaines à Yverdon.