1770-08-08, de Voltaire [François Marie Arouet] à Francis Fawkes.

Monsieur,

Vous m'avez fait dans ma solitude une faveur dont je sens tout le prix.
Vôtre traduction de Théocrite est sans doute la meilleure qu'on ait faitte en aucune langue. Vous avez trouvé le secret de transporter toutes les grâces de la langue grecque dans la langue anglaise. J'ose dire que vous avez bien surpassé Pope dans le stile de l'églogue. Voilà un ouvrage qui fait également d'honneur à nôtre siècle et à l'antiquité. Je vous rends toute la justice qui vous est due dans une espèce de Dictionaire Enciclopédique auquel je m'amuse dans ma retraitte. J'aurai l'honneur de vous l'envoier dès qu'on aura imprimé l'article Eglogue.

Souffrez que je vous fasse mon compliment sur la préférence que vous avez donnée aux vers rimés sur les vers blancs. Je tiens que dans nos langues modernes la rime est abolument nécessaire. Je demandai un jour à Pope pourquoi Milton n'avait pas rimé son paradis perdu; c'est qu'il en était incapable, me dit Pope.

Je ne puis vous dire à quel point je suis rempli d'estime pour vous. Mon âge et mes maladies m'empêchent de vous écrire de ma main et de vous répondre en anglais.

J'ai l'honneur d'être avec bien de la reconnaissance

Monsieur

Vôtre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire gentilhomme orde de la chambre du Roy