8e Auguste 1770
J'ai reçu, mon cher correspondant, le livre anglais que vous m'avez envoié.
C'est une traduction des Eglogues de Théocrite en vers, et la meilleure, sans contredit qu'on ait jamais faitte. Ce Théocrite, à mon sens, était supérieur à Virgile en fait d'églogue.
Vous m'avez demandé trois volumes des questions sur l'Enciclopédie. Il n'y en a encor que deux d'imprimés; et les trois ne paraîtront que vers le mois de novembre; celà ne sera pas trop bon, mais il y aura des choses très curieuses.
Vous m'avez promis une estampe de M: le Duc de Choiseul, vous l'avez oubliée.
Je n'ai point oublié les anecdotes Russes et je tâcherai de vous en faire tirer un bon parti incessamment.
Ne croiez point vos Marseillois sur les Russes d'aujourd'hui; ils craignent si fort de perdre leurs marchandises dans la Morée quele moindre petit avantage des Turcs leur parait une bataille de Pharsale. Je vous réponds que Catherine fera repentir Moustapha de s'être mêlé de ce qui ne le regardait pas.
Il est bon qu'on traitte Frèron de Turc à Maure, mais c'est la honte de nôtre siècle de mettre un Fréron en état de paier le journal des savants, et de faire des pensions aux gens de Lettres. Quoi! donner à un coquin le privilège de médire, pour paier des hommes qui écrivent sagement! C'est là le comble de l'ignominie.
Est-ce que vous ne pouriez point savoir quel est l'auteur des anecdotes? Mr Dorat m'a écrit que j'en étais accusé. C'est une absurdité égale à l'infamie de Frèron.
Voulez vous bien avoir la bonté, mon cher correspondant, de faire mettre à la poste ma Lettre pour l'Angleterre, et de faire parvenir à Mr Gaillard celle qui est pour lui?
V.