1776-10-18, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Mon cher ange, je soupçonne que vous êtes actuellement à Fontainebleau avec le véritable marquis Caraciolli, fort différent du prétendu marquis Caraciolli, natif d'auprès de Tours, auteur d'une prétendue vie de mad. de Pompadour, et imprimeur des prétendues Lettres de ce pauvre pape Ganganelli.

Je suppose qu'en qualité d'ambassadeur de famille vous avez été de la fête de Brunoy, et encore plus en qualité d'homme de goût. Il faut que je vous demande des nouvelles de cette fête, car je ne veux pas en demander à Monsieur. Dites moi je vous prie si on y a fait paraître le buste de la reine. Il devait être dans une machine; on avait demandé une inscription pour le piédestal du buste, lequel devait être soutenu par les mains des amours, des grâces et des plaisirs. Voici l'inscription.

Amours, grâces, plaisirs, nos fêtes vous admettent,
Volez à ce portrait, vous pouvez l'adorer;
Un moment devant lui vous pouvez folatrer,
Les vertus vous le permettent.

Cette idée de fêter le buste de la reine tandis qu'on avait sa personne, n'était venue à messieurs de Brunoy que quatre jours avant ce beau souper. Le souper fut le 7e du mois, et celui qui envoya l'inscription ne fut informé de tout cela que le dix; ainsi il ne put avoir l'honneur de cajoler le beau buste d'Antoinette. On récita quelques autres mauvais vers de lui qui étaient venus auparavant à bon port.

On lui mande que ces petits versiculets, tout plats qu'ils sont, n'ont pas été mal reçus de la belle et brillante Antoinette et de sa cour. Il en est fort aise, quoiqu'il ne soit pas courtisan. Il s'imagine qu'on pourait aisément obtenir la protection de cette divine Antoinette en faveur d'Olimpie la brûlée. Il s'imagine encore que dans certaines occasions certain vieux amateur de certaines vérités, pourrait se mettre sous la sauvegarde de certaine famille contre les méchancetés de certains pédants en robe noire, qui ont toujours une dent contre un certain solitaire.

Si donc vous êtes à Fontainebleau, mon cher ange, je vous prie de ruminer tout cela dans votre tête très sage, et de le confier à votre bon cœur. Un mot placé à propos peut faire beaucoup de bien, et vous ne haïssez pas d'en faire.

Je ne m'en tiens pas à des inscriptions pour des bustes ni à de petits quatrains sur le bonheur qui ont été récités à la fête de Brunoy. Je vous fais de grands diables de vers alexandrins dont vous entendrez parler dans quatre ou cinq mois si dieu me donne vie. Je ne suis pas bien sûr de cette vie; c'est ce qui fait que je vais me dépêcher; mais en se dépêchant trop on ne fait rien qui vaille.

Je vous écris tout cela de mon lit, où je souffre comme un damné, ayant devant moi de beaux jardins, une belle campagne, un beau lac, à ma droite les montagnes du Jura, à ma gauche les glaces éternelles des grandes Alpes, et dans mon corps, le diable.

Je me recommande à mon bon ange gardien, qui ne m'abandonnera jamais.

V.

Je vous prie surtout de me mander comment je dois écrire à mr Pierre Zaguri, qui m'écrit de Venise, et que je crois être un savio grande. Il se renomme beaucoup de vous; et il m'écrit des choses qui me confondent, et qui me font rougir, en quoi il n'est pas grande savio; mais il paraît fort aimable. J'attends pour lui répondre que vous ayez eu la bonté de m'instruire.