A Paris ce 24 O^bre 1776

Votre soupçon, mon cher ami, et vos suppositions ne sont pas fondées, je ne suis point à Fontainebleau (le régime qu'on m'oblige d'observer ne m'a pas permis de m'y rendre).
Je ne suis point parconséquent à portée de voir le véritable marquis de Caraciolli, si différent du polisson de Tours qui a usurpé ce nom. Je n'ai pas les prérogatives d'ambassadeur de famille attendu que je ne le suis point, mais seulement un très petit ministre de Parme. Je n'avois donc aucun titre pour la feste de Monsieur et quand j'en aurois eu n'étant point invité je n'y aurois pas été davantage. Le buste de la Reine a paru, je crois sans inscription, la votre y manquoit. On ne peut pas dire mieux en quatre vers, que sa vertu ne l'empêche pas d'être très aimable. Ce que vous appellés vos versiculets, a parfaitement réussi. C'est la seule production qu'on ait cité avec éloge. Antoinette et Louis en ont été également charmés. M^r de Jaucour a pu vous mander de quelle manière il a saisi ceste occasion de rendre compte de toutes les merveilles de Ferney qui sont uniquement votre ouvrage, et qu'il a été écouté avec plaisir même de la personne la plus considérable. La protection pour Olimpie n'est qu'une petite circonstance de l'effet que cette disposition peut produire. J'espère que vous m'entendés, je vous répète encor que nous avons le Kain [… …] employé tous nos efforts pour faire jouer cette Olimpie. Nous sommes barré par les pièces nouvelles. Il faut attendre un jour que nous saisirons avec empressement. Dumoins au retour de Fontainebleau nous aurons Oreste. Le Kain nous élève une actrice qu'il fera débuter par votre Electre et ensuite Idamé. Elle s'appelle Compain Desperiere, elle n'étoit connue que par sa danse lorsqu'il lui a pris une fureur pour la tragédie qui est presque toujours la preuve du talent. Je crois qu'en effet elle en a un véritable. Je ne l'ai entendu qu'en chambre, mais je suis bien trompé si elle n'a pas infiniment d'âme et beaucoup d'intelligence. Joignés à cela un organe net, fort et susceptible d'inflexions. Elle sera digne de vos rosles.

J'attends avec bien de l'impatience ce que vous nous promettés mais vous avés pleinement raison de ne pas vous presser, quelque facilité qu'on ait, de quelque génie qu'on soit doué on ne fait jamais vite et bien.

Que dites vous des choix qu'on vient de faire pour la finance? Ils sont fort approuvés. M^r Taboureau est un très honnête homme, excellent magistrat, mais qui pourroit n'avoir pas toutes les connoissances nécessaires à l'administration la plus importante. M^r Nekre passe pour être supérieur dans cette partie ainsi que dans celle du comerce. Il a contrarié M^r Turgot dans un point mais je pense qu'il est de son avis sur bien d'autres. Il vous connoit ainsi il vous aime. Sa femme vous adore, il y a toute apparence qu'il favorisera vos établissements.

Permettés moi, mon cher ami, de vous représenter que vous m'avés bien négligé depuis quelques tems. Votre lettre précédente étoit du 8 de septembre, la dernière est du 18 de ce mois. Il est vray qu'elle m'a fait tant de plaisir qu'elle m'ôte la force de vous faire des reproches, mais elle augmente en moi le désir d'en recevoir plus souvent. Songés aussi que vous ne m'avés envoyé que la lettre sur Shaespear et que je vous ai assuré de la bonne volonté de m^r de Vaine pour me remettre tout ce que vous jugeriés à propos de mettre à son adresse. Convenés mon cher ami que ce n'est point ainsi qu'il faut traiter un ami de plus de 60 ans qui vous aime autant qu'on peut aimer.

J'ai oublié l'adresse de M^r Zaguri. La voici, à son excellence m^r Pierre Zaguri sénateur à Venise.

Ne répondrés vous pas un mot à la lettre que vous avés reçeu de m^r Gudin avec son Coriolan? C'est un homme honnête qui n'a pu vaincre la difficulté de son sujet et qui a fait une tragédie médiocre sans être pourtant mal écrite.