Paris ce 23e 8bre 1776
Voici Monsieur, le dernier bulletin de mes extravagances que je prens la liberté de mettre sous vos ÿeux; il y a vingt ans que vous me faites la grâce de me vouloir du bien, je me ferai toute ma vie un devoir de vous faire part de cellui qui pourra m'arriver.
Par ma prose rimée vous conoitrés la femme généreuse qui s'est déterminée à devenir garde malade, et belle mère en m'épousant, je n'en dis que la plus exacte vérité. Par la copie du brevet vous serrés informé des bontés du roi pour nous; il ne nous manque que votre aprobation à laquelle je mets le plus haut prix, et que je vous demande avec instance, ainsi que celle de Madame Denis.
J'étois à causer avec Mr Necker et sa femme lorsque le Courier est arrivé pour lui anoncer qu'il est adjoint au Controlleur général, et qu'il travaillera avec le Roi. Mr Necker est parti pour Fontainebleau dans l'intention de dire à sa Majesté qu'il est asséz riche pour le prier de ne point lui donner d'argent, et qu'il veut travailler pour sa gloire et non pour sa fortune: les effets royaux ont haussé ridiculement depuis ce choix, les actions des Indes dans 24 heures ont monté de 15 cent à 19 cent: tanta est fiducia gratis. C'est un genevois sur lequel vingt millions de François fondent toutes leurs fortunes; c'est une nation indéfinissable, la plus aimable de toutes. Ils ont tout, ils savent, tout, ils décident de tout, et ils ne trouvent chéz eux ni ministres, ni généraux, ni argent lorsqu'ils en ont besoin. MM. Taboureau et Necker sont d'une parfait probité, ils ne feront de mal que cellui qui leur sera impossible de ne pas faire: on dit que M. Taboureau étoit fort partisan des principes de M. Turgot.
Veuillés permettre que je me mette ici aux pieds de Madame Denis, et pardonés moi Monsieur, l'obstination avec laquelle j'embrasse toutes les occasions de vous prouver la constance de ma Vénération, et de mon dévouement pour vous aiant l'honneur d'être avec respect, votre très humble et très obéissant serviteur
le Bron de Constant Rebecque