1772-03-23, de David Louis Constant de Rebecque, seigneur d'Hermenches à Isabelle de Charrière.

C’est un peu mieux dater que précédemment mon adorable amie, n’est il pas vrai?
Je voudrois que vous y fussiés, au lieu de ce plat Lausanne où vous allés arriver quant je le fuis. Je ne vous puis taire que j’en ai un mal au coeur horrible. Qu’es ce que la vie? Il y à quelques années que j’aurois marché au travers d’un braisier pour posséder Agnes à Lausanne! Enfin vous me consolerés, vous me ferés la grâce de m’écrire, et je vous serai certainement fidèle.

Je me fais du bien ici, ce vénérable et prodigieux viellard écoute mes misères, s’entretient de mes petites peines, come une bonne mère, aussi je le trouve grand dans ces moments là, come mme de Sevigné trouvoit Louis XIV un héros, après qu’il eût dansé un menuet avec elle. Il faut absolument que vous veniés le voir, il est digne de vous écouter, et vous l’ètes infiniment de lui parler, car j’en reviens toujours à ce que je ne connois personne qui ait plus d’esprit que vous, un esprit plus agréable, plus naïf, et qui juge mieux.

Je suis obligé de partir. Je suis à vos pieds ma Chère amie.

Mon adresse est chéz MM. Lullain banquiers rue Tevenot à Paris.

Faites bien parler Mme de Corselles de moi, elle tortillera bien la bouche; et puis si vous me loués, come je voue en prie, ils diront de rage, que je ne suis pas votre ami, ou que je suis léger, ou médisant, ou peut être faux; soutenés toujours que je suis un excellent home, et voiant qu’ils ne peuvent vous ébranler ils vous diront que cella est vrai, crainte que vous ne les trahissiés; je vous manderai de mon côté tout ce qu’ils auront trouvé à redire en vous; car j’aurois de très bons bulletins.