aux Délices près de Geneve 19 janvier 1759
Vous m'avez écrit monsieur que les intendants ne peuvent que le mal.
Je sçais que vous êtes du petit nombre qui font le contraire de ce qu'ils disent, et voicy certainement une occasion de faire du bien, et un bien dont toutte ma famille aura pour vous une éternelle reconnaissance. Il est certain que la terre de Ferney ne pourait jamais être vendue après mort, si elle perdait ses droits. Il n'y a que des genevois qui aient de l'argent dans ce pays cy. Aucun ne voudra d'une terre dégradée dans ses privilèges. Vous savez d'ailleurs que ces privilèges sont très peu de chose, presque rien, mais ce rien ôté, la terre entrerait dans le néant, elle ne raporterait pas 1500lt entre les mains d'un fermier, jamais ma nièce ne pourait la vendre. Mgr le comte de la Marche y perdrait de beaux droits de mutation. J'avais d'abord imaginé d'implorer sa protection, celle de Made de Pompadour et de M. le duc de Choiseuil auprès de vous. Je trouve bien mieux d'implorer la vôtre auprès d'eux. Voicyà peu près comme j'ay conçu que le brevet du Roy pourait être dressé pour épargner aux commis des affaires étrangères la peine d'en faire un. Si vous l'approuvez, je l'enverrai à Mr le duc de Choiseuil, et je me flatte qu'il ne fera nulle difficulté de le signer. Mais c'est à vous seul monsieur que je veux avoir l'obligation du succez, puisque vous seul êtes en état de certifier la justice de la demande. Cette grâce fera le bien de la terre et du pays, et de ma famille, elle sera même utile au roy, puisque le village enrichi dans quelques années sera en état de payer de plus fortes tailles. Si j'obtiens votre aprobation et votre bienveillance dans cette affaire, j'enverrai une requête à M. le duc de Choiseuil qui vous la renverra pour l'examiner; et sur cette requête apuyée de votre avis, on dressera le brevet.
J'attends vos bontez et vos ordres, et je seray toutte ma vie Monsieur avec la reconnaissance la plus vive et la plus pleine de respect
Monsieur
Votre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire